09/11/2016

Une semaine de lecture (2) : nous n'en finirions pas s'il nous fallait parler...


Benjamin Péret, 1899-1959
Via le vieux monde qui n'en finit pas




La vieille valise la chaussette et l’endive
se sont donné rendez-vous entre deux brins d’herbe
croissant sur un autel habité par des tripes
Il en est résulté la création d’une banque hypothécaire
qui prête des oignons pour recevoir des fauteuils
Et le monde continue
Un petit tas de sable par ci
Un ressort abandonné par là
Une oreille en moins se retrouve
barbe poisseuse
dans un salon Louis XV
Et le chiendent aide la chienne de vie
qui lèche des culs et marche sur des pieds
Et nous n’en finirions pas s’il nous fallait parler
de tous les boutons de porte vomissant quand la main les empoigne
de tous les escaliers qui se bouchent le nez
à cause du macchabée des cravates
et des poissons rouges qui meurent de honte
et des pigeons qui refusent de se poser sur des nez
tombés depuis trop longtemps dans le ruisseau
où nul n’ose s’aventurer
parce que trop vieux ou trop jeune
ou parce qu’il va perdre son train
qui heureusement déraillera

 Benjamin Péret - Ça continue, in De derrière les fagots, 1934



Les éditions Libertalia publient, de Barthélémy Schwartz, le premier essai (en partie biographique) publié sur Benjamin Péret depuis dix-sept ans (1). C'est dire à quel point ce qui s'écrit à propos de Péret est rare, donc précieux.







Révolté de naissance (2), virtuose de l'écriture automatique mais prolétaire (et au début souffre-douleur) du groupe surréaliste, suivant à partir du milieu des années 20 un parcours politique sur des lignes de crête où bien peu résistaient à la fin (3), par ailleurs bon connaisseur - et passeur - de la transe brésilienne, macumba et candomblé, enfin parmi les derniers fidèles autour d'André Breton, la figure de Benjamin Péret est par excellence celle de l'irrécupérable définitif. Même si Barthélémy Schwartz tente (4) un parallèle avec Guy Debord, il n'y a aucune crainte à avoir sur ce point : contrairement à ce dernier, jamais Benjamin Péret ne sera déclaré Trésor national par l'état français.

Rappelons que ses œuvres complètes sont éditées chez José Corti - on peut en lire une partie en ligne ici - et qu'il existe une association des amis de Benjamin Péret.




(1) A ma connaissance depuis l'excellent Péret Benjamin, révolutionnaire permanent de Guy Prévan (Syllepse, 1999) essentiellement consacré à la trajectoire politique du poète. A noter également le documentaire de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de pain-là, DVD Seven Doc, 2015. Un entretien avec l'auteur par là.

(2) A quinze ans il peinturlure une statue de sa ville de Nantes; sa mère lui donne le choix entre la maison de redressement et l'armée (buts dans la vie ? - Guerre de 1914, ce qui a tout facilité ! sera sa réponse au Nouveau dictionnaire des contemporains de Galtier-Boissière).

(3) Péret adhère en 1926 au PCF qu'il quitte en 27 après avoir constaté la profonde hostilité du parti aux surréalistes. Il rejoint l'opposition de gauche puis le trotskysme organisé en 1930 pendant son séjour au Brésil. Expulsé par le gouvernement Vargas, retourné en France, il prend contact avec l'organisation trotskyste française qui refuse son adhésion - très probablement parce qu'il est, encore une fois, surréaliste...  Péret navigue ensuite entre les différents groupes qui veulent bien l'accueillir - dont l'Union Communiste - pour enfin se joindre en 36 au POI pour une fois unifié, tout cela en continuant d'animer aux côtés de Breton l'activité du groupe surréaliste. Il rejoint Barcelone dès août 36 pour travailler avec le POUM puis, déçu par ce dernier, rejoint la colonne Durruti sur le front d'Aragon. Menacé par les staliniens, obligé de se cacher pour échapper à la purge de Mai 37, il doit retourner à Paris. Là il participe à l'expérience de collaboration entre trostskystes et surréalistes dans la FIARI. Mobilisé en 40, il est bientôt emprisonné pour activités subversives, parvient à sortir de la prison de Nantes en achetant un gardien, rejoint Paris de plus en plus invivable, passe clandestinement la ligne de démarcation avec sa compagne Remedios Varo, arrive à Marseille, y travaille comme bien d'autres au Croquefruit, embarque enfin, en octobre 41 et grâce à l'aide de Varian Fry, Sherry Mangan et Peggy Guggenheim, sur le cargo portugais Serpa Pinto, pour Vera Cruz via Casablanca et La Havane. Au Mexique, il joint les réseaux survivants, tant trotskystes que surréalistes. Avec Natalia Sedova - la compagne de Trotsky assassiné l'année précédente - et Grandizo Munis il finit par rompre avec l'orthodoxie trotskyste de la défense inconditionnelle de l'URSS et publie le Manifeste des exégètes. Dès lors il fait partie de ces quelques irréfragables rétifs à tout patriotisme, fût-ce celui de la "patrie du socialisme" ou de "l'état ouvrier" qui, avec insistance, rappellent aux aveugles que le bon peuple de l'URSS trime comme tant d'autres pour une classe exploiteuse. Dans ce maigre bataillon il faut alors compter par exemple Aghis Stinas et les militants de Johnson-Forest. Avec le recul que nous offrent presque trois-quarts de siècle et après la convergence ô combien pacifique, en 1989, de deux systèmes d'exploitation qu'on nous présenta comme définitivement antagoniques, n'y a-t-il pas quelque ironie à voir combien des ultra-minoritaires peuvent avoir précocement raison ? Et que faut-il choisir, du soulagement rétrospectif ou de l'inquiétude prémonitoire, à la relecture de ces lignes prophétiques : 

"ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans le processus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste ou bien le régime stalinien est la première étape d'une nouvelle société d'exploitation. Si le deuxième pronostic se révèle juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendra une nouvelle classe exploiteuse. Cette seconde perspective aurait beau paraître fort lourde, si le prolétariat mondial apparaissait effectivement incapable de remplir la mission que le cours du développement place sur ses épaules, il ne resterait alors rien d'autre à faire que de reconnaître ouvertement que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste, s'est avéré une pure utopie. Il faudrait alors, évidemment, élaborer un nouveau programme "minimum" pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire."
Léon Trotsky - Défense du marxisme, Coyoacan, septembre 1939

Péret tentera des rapprochements sans avenir, avec Socialisme ou Barbarie, avec le libertaire Georges Fontenis, de façon ponctuelle avec les trotskystes quand l'état français menacera de (et mettra en) prison ceux qui soutiennent la lutte de libération des algériens. Mais son groupe d'élection jusqu'à sa mort restera celui des espagnols, autour de Grandizo Munis et Jaime Fernández Rodríguez, retournés clandestinement en Espagne fin 52, arrêtés dès 53, et pour la défense desquels Péret se démènera jusqu'à leur libération. C'est avec Munis que Péret crée un dernier petit groupe, le Ferment Ouvrier révolutionnaire, juste avant sa mort le 18 septembre 1959.

Pour plus de détails on lira avec profit le live de Guy Prévan, déjà cité. 

(4) p. 248 de son livre.




Et pendant ce temps-là...
...5 raisons, ou le brexit de la Rust Belt (en anglais des Etats-Unis) 

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