16/11/2016

La vie privée des choses : le réemploi


Abbaye de Fonfroide, cloître - Fragment de bas-relief rapporté





Abbaye de Fontfroide, dortoir des convers - Vitrail composé de fragments des vitraux détruits de la basilique Saint-Rémi de Reims, détail





...Et les chats sont partis, les chats sont en vacances, les chats sont à Berlin et seront de retour le 1er décembre, au plus tôt. Ne prenez pas froid.

15/11/2016

Ronde de nuit : outrage


Théophile-Alexandre Steinlen - Outrage à la morale, dessin pour le Chat Noir, n°407 du 2 novembre 1889, dans la série des Flagrants délits.
Via Töppferiana




La dédicace à Georges Ohnet, le plus éminent pisse-copie de l'époque, est évidemment à prendre sur le mode satirique. 





 Et pendant ce temps-là...
...Je me lâche, je suis en fin de carrière... Je suis à la retraite dans six mois... donc je peux y aller maintenant, c’est n’importe quoi... C’est évident, les gosses sont plus ou moins doués scolairement... Ils réussissent plus ou moins bien, l’intelligence existe... Il y a des différences d’intelligence... Mais le tri éducatif, particulièrement à partir de l’Université, ne se fait pas uniquement sur le critère de l’intelligence... Il se fait aussi beaucoup sur le critère de l’obéissance... Parce que maintenant, on vit dans un monde de concours où il faut être le plus parfait possible. Donc pour être parfait, il faut être lisse, en vérité il faut ne pas penser. Donc tout le système de définition des élites et des éduqués supérieurs contient... Il y a de l’intelligence, mais il y a aussi de la soumission comme critère de tri... Et au final qu’est ce qu’on obtient comme classe supérieure ? Qu’est-ce qu’on va obtenir ? Est-ce qu’on obtient une classe supérieure collectivement tellement remarquable par son intelligence ? Ça ne me paraît pas tellement évident... Qui oserait décrire la classe supérieure française comme intelligente collectivement ? Et pourtant c’est tous des supers bons élèves. Qui oserait décrire les gens de l’establishment de Washington... qui aboutissent au terme de je ne sais combien de temps de gestion à des baisses de niveau de vie pour leur population et qui disent que c’est normal, que ça n’a rien à voir avec le système économique etc... 

14/11/2016

Une semaine de lecture (7) : Méditations sur deux cadavres


 François Hollande au colloque "la gauche et le pouvoir" organisé par le think tank Terra Nova et la Fondation Jean Jaurès, théâtre du Rond-Point, 3 mai 2016.




La matière propre de l'art politique, c'est la double perspective, toujours instable, des conditions réelles d'équilibre social et des mouvements d'imagination collective. Jamais l'imagination collective, ni celle des foules populaires, ni celle des dîners en smoking, ne porte sur les facteurs réellement décisifs de la situation sociale donnée ; toujours ou elle s'égare, ou retarde, ou avance. Un homme politique doit avant tout se soustraire à son influence, et la considérer froidement du dehors comme un courant à employer en qualité de force motrice. Si des scrupules légitimes lui défendent de provoquer des mouvements d'opinion artificiellement et à coups de mensonges, comme on fait dans les Etats totalitaires et même dans les autres, aucun scrupule ne peut l'empêcher d'utiliser des mouvements d'opinion qu'il est impuissant à rectifier. Il ne peut les utiliser qu'en les transposant. Un torrent ne fait rien, sinon creuser un lit, charrier de la terre, parfois inonder ; qu'on y place une turbine, qu'on relie la turbine à un tour automatique, et le torrent fera tomber des petites vis d'une précision miraculeuse. Mais la vis ne ressemble nullement au torrent. Elle peut sembler un résultat insignifiant au regard de ce formidable fracas ; mais quelques-unes de ces petites vis placées dans une grosse machine pourront permettre de soulever des rochers qui résistaient à l'élan du torrent. Il peut arriver qu'un grand mouvement d'opinion permette d'accomplir une réforme en apparence sans rapport avec lui, et toute petite, mais qui serait impossible sans lui. Réciproquement il peut arriver que faute d'une toute petite réforme un grand mouvement d'opinion se brise et passe comme un rêve.




 Simone Weil au moment où elle s'engage dans la colonne Durruti pendant la guerre civile espagnole, 1936



Pour prendre un exemple parmi bien d'autres, au mois de juin 1936, parce que les usines étaient occupées et que les bourgeois tremblaient au seul mot de soviet, il était facile d'établir la carte d'identité fiscale (1) et toutes les mesures propres à réprimer les fraudes et l'évasion des capitaux, bref d'imposer jusqu'à un certain point le civisme en matière financière. Mais ce n'était pas encore indispensable, et l'occupation des usines accaparait l'attention du gouvernement comme celle des multitudes ouvrières et bourgeoises. Quand ces mesures sont apparues comme la dernière ressource, le moment de les imposer était passé. Il fallait prévoir. Il fallait profiter du moment où le champ d'action du gouvernement était plus large qu'il ne pouvait jamais l'être par la suite pour faire passer au moins toutes les mesures sur lesquelles avaient trébuché les gouvernements de gauche précédents, et quelques autres encore. C'est là que se reconnaît la différence entre l'homme politique et l'amateur de politique. L'action méthodique, dans tous les domaines, consiste à prendre une mesure non au moment où elle doit être efficace, mais au moment où elle est possible en vue de celui où elle sera efficace. Ceux qui ne savent pas ruser ainsi avec le temps, leurs bonnes intentions sont de la nature de celles qui pavent l'enfer. 

Parmi tous les phénomènes singuliers de notre époque, il en est un digne d'étonnement et de méditation ; c'est la social-démocratie. Quelles différences n'y a-t-il pas entre les divers pays européens, entre les divers moments critiques de l'histoire récente, entre les diverses situations ! Cependant, presque partout, la social-démocratie s'est montrée identique à elle-même, parée des mêmes vertus, rongée des mêmes faiblesses. Toujours les mêmes excellentes intentions qui pavent si bien l'enfer, l'enfer des camps de concentration. Léon Blum est un homme d'une intelligence raffinée, d'une grande culture ; il aime Stendhal, il a sans doute lu et relu la Chartreuse de Parme ; il lui manque cependant cette pointe de cynisme indispensable à la clairvoyance. On peut tout trouver dans les rangs de la social-démocratie, sauf des esprits véritablement libres. La doctrine est cependant souple, sujette à autant d'interprétations et modifications qu'on voudra ; mais il n'est jamais bon d'avoir derrière soi une doctrine, surtout quand elle enferme le dogme du progrès, la confiance inébranlable dans l'histoire et dans les masses. Marx n'est pas un bon auteur pour former le jugement ; Machiavel vaut infiniment mieux.

Simone Weil - Méditations sur un cadavre, projet d'article non publié (juin ou juillet 1937)
Œuvres complètes T. II, Ecrits historiques et politiques, Vol. 3, Vers la guerre (1937-1940)
Gallimard éd., 1989, pp. 76-77.
Version en ligne ici.



(1) La carte d'identité fiscale, aujourd'hui oubliée, était instituée par la loi du 23 décembre 1933 qui disposait que "nul ne pourra percevoir d'intérêts, revenus ou autres produits de valeurs mobilières sans présenter à l'établissement payeur une carte d'identité". Les établissements payeurs devaient remettre chaque année un relevé des cartes d'identité et des sommes versées correspondantes sous peine d'une amende de 1.000 à 10.000 francs de l'époque par contravention. Instituée pour empêcher la dissimulation fiscale des revenus mobiliers, cette carte n'entra jamais vraiment en application, tant durant la législature issue du second cartel des gauches, qui l'avait votée, que sous le Front Populaire qui l'abandonna finalement, cela sous la pression de la haute administration fiscale de l'époque venant en relais des intérêts menacés. Sur ces épisodes on peut trouver quelques détails supplémentaires ici ou .




A propos du séjour de Simone Weil dans la colonne Durruti, on peut lire quelques compléments utiles ici.



Remarque : Simone Weil a écrit ces pages à la suite de la démission du gouvernement Blum le 22 juin 1937 - le gouvernement de Juin 36 n'est plus, ainsi commence son article. C'est de ce cadavre qu'il s'agit, et tout particulièrement des mesures financières - dévaluation et contrôle des changes - qu'il n'a pas su prendre au plus tôt et qui lui ont manqué pour durer. Pourquoi faire le parallèle avec notre pauvre actualité - conséquence, elle, non pas de l'hésitation mais de l'entêtement que notre propre cadavre en sursis a mis à se fourrer dans une impasse ?

Ce serait évidemment verser dans la galéjade que de supposer que le gouvernement actuel de la France s'inspire de la doctrine de Marx, ou d'ailleurs de quelque doctrine que ce soit à part celle, déjà largement discréditée, d'Arthur Laffer et ses émules. De même, il faudrait manquer singulièrement du sens de la perspective pour mettre François Hollande à la hauteur de Léon Blum, au motif que le premier est plus près de nous - au vrai, seul le titre de l'article de Simone Weil s'applique pleinement à notre situation.  

C'est pourtant utile de le rappeler : pour faire des réformes mieux vaut s'appuyer sur les forces disponibles, non les contrebattre ou les mépriser - encore faut-il vouloir faire les réformes pour lesquelles on vous a mandaté, et non leur exact contraire.

Il n'empêche aussi que ce qui est énoncé ici résonne dans les mémoires. L'on peut imaginer que si, chez des leaders peu clairvoyants, les excellentes intentions pavaient si bien l'enfer, celles qui sont loin d'être excellentes risquent de le paver aussi pour nos actuels amateurs de politique.


13/11/2016

Une semaine de lecture (6) : sur les terres françaises...


Communiqué des demandeurs d'asile de Paris, quartier de Stalingrad, 30 octobre 2016
Source



 
Paris - Evacuation des camps de réfugiés Stalingrad/Jaurès, 4 novembre 2016
Mis en ligne par Taranis News

12/11/2016

Une semaine de lecture (5) : Si le silence fleurit comme une tumeur sur nos lèvres / with its very own breath of brandy and Death


Leonard Cohen - Poème extrait de son premier recueil, Let us compare Mythologies, 1956
Via youshouldacceptchaos




On m'a parlé d'un homme
qui dit tellement bien les mots
il n'a qu'à prononcer leur nom
et les femmes à lui se donnent.

Si je suis muet près de ton corps
et si le silence fleurit comme une tumeur sur nos lèvres
c'est que j'entends monter dans l'escalier un homme
dehors, à notre porte
il s'éclaircit la voix

Trad. Les chats








Leonard Cohen - Take this waltz, 1988
Mis en ligne par Joy Milonguero




Now in Vienna there's ten pretty women
There's a shoulder where Death comes to cry
There's a lobby with nine hundred windows
There's a tree where the doves go to die
There's a piece that was torn from the morning
And it hangs in the Gallery of Frost
Ay, Ay, Ay, Ay
Take this waltz, take this waltz
Take this waltz with the clamp on its jaws
Oh I want you, I want you, I want you
On a chair with a dead magazine
In the cave at the tip of the lily
In some hallways where love's never been
On a bed where the moon has been sweating
In a cry filled with footsteps and sand
Ay, Ay, Ay, Ay
Take this waltz, take this waltz
Take its broken waist in your hand

This waltz, this waltz, this waltz, this waltz
With its very own breath of brandy and Death
Dragging its tail in the sea

There's a concert hall in Vienna
Where your mouth had a thousand reviews
There's a bar where the boys have stopped talking
They've been sentenced to death by the blues
Ah, but who is it climbs to your picture
With a garland of freshly cut tears?
Ay, Ay, Ay, Ay
Take this waltz, take this waltz
Take this waltz it's been dying for years
There's an attic where children are playing
Where I've got to lie down with you soon
In a dream of Hungarian lanterns
In the mist of some sweet afternoon
And I'll see what you've chained to your sorrow
All your sheep and your lilies of snow
Ay, Ay, Ay, Ay
Take this waltz, take this waltz
With its "I'll never forget you, you know!"

This waltz, this waltz, this waltz, this waltz ...

And I'll dance with you in Vienna
I'll be wearing a river's disguise
The hyacinth wild on my shoulder,
My mouth on the dew of your thighs
And I'll bury my soul in a scrapbook,
With the photographs there, and the moss
And I'll yield to the flood of your beauty
My cheap violin and my cross
And you'll carry me down on your dancing
To the pools that you lift on your wrist
Oh my love, Oh my love
Take this waltz, take this waltz
It's yours now. It's all that there is.


11/11/2016

Une semaine de lecture (4) : n'en est-on pas au même point, aujourd'hui...


Harry Langdon dans The strong man / titre français : L'athlète incomplet, 1926 
(dir. Frank Capra)
Mis en ligne par Johnny Flattire


Le renoncement au moi, cependant, n'est encore qu'un seul aspect des rapports entre le comique et l'objet. On retrouve en réalité l'ambiguïté qui préside à ses rapports avec le mannequin : à tour de rôle un joyeux animisme poétique et une lutte sans merci, où l'objet ne cherche qu'à priver l'homme de ses pouvoirs. L'éclatement du Moi traduit en même temps un espoir et une crise : un désarroi de l'individu dans un monde qui échappe à son contrôle. C'est certes aussi là un simple reflet de l'antagonisme "primitif" entre l'homme et la nature, celui dont l'Amérique du début de ce siècle, à peine sortie du temps des pionniers, a encore une notion très concrète. Derrière, cependant, se dessine le retournement contre l'homme de ses propres créations, le tour aliénant que prend la civilisation industrielle pour n'avoir su "humaniser" la nature que d'une manière possessive. Quand, dans The Strong Man, le public applaudit Langdon en attendant qu'il fasse devant lui un numéro d'haltères, le comique, pour sa part, ne peut que désigner timidement du doigt ces haltères eux-mêmes : eux seuls sont compétents et décideront du sort du numéro. N'en est-on pas au même point, aujourd'hui, avec l'ensemble des choses qui sont issues de nos mains ?

Petr Kràl - Le burlesque ou la morale de la tarte à la crème, 1984, Stock éd.

Les haltères sont à 59'30" du film. 


09/11/2016

Une semaine de lecture (2) : nous n'en finirions pas s'il nous fallait parler...


Benjamin Péret, 1899-1959
Via le vieux monde qui n'en finit pas




La vieille valise la chaussette et l’endive
se sont donné rendez-vous entre deux brins d’herbe
croissant sur un autel habité par des tripes
Il en est résulté la création d’une banque hypothécaire
qui prête des oignons pour recevoir des fauteuils
Et le monde continue
Un petit tas de sable par ci
Un ressort abandonné par là
Une oreille en moins se retrouve
barbe poisseuse
dans un salon Louis XV
Et le chiendent aide la chienne de vie
qui lèche des culs et marche sur des pieds
Et nous n’en finirions pas s’il nous fallait parler
de tous les boutons de porte vomissant quand la main les empoigne
de tous les escaliers qui se bouchent le nez
à cause du macchabée des cravates
et des poissons rouges qui meurent de honte
et des pigeons qui refusent de se poser sur des nez
tombés depuis trop longtemps dans le ruisseau
où nul n’ose s’aventurer
parce que trop vieux ou trop jeune
ou parce qu’il va perdre son train
qui heureusement déraillera

 Benjamin Péret - Ça continue, in De derrière les fagots, 1934



Les éditions Libertalia publient, de Barthélémy Schwartz, le premier essai (en partie biographique) publié sur Benjamin Péret depuis dix-sept ans (1). C'est dire à quel point ce qui s'écrit à propos de Péret est rare, donc précieux.







Révolté de naissance (2), virtuose de l'écriture automatique mais prolétaire (et au début souffre-douleur) du groupe surréaliste, suivant à partir du milieu des années 20 un parcours politique sur des lignes de crête où bien peu résistaient à la fin (3), par ailleurs bon connaisseur - et passeur - de la transe brésilienne, macumba et candomblé, enfin parmi les derniers fidèles autour d'André Breton, la figure de Benjamin Péret est par excellence celle de l'irrécupérable définitif. Même si Barthélémy Schwartz tente (4) un parallèle avec Guy Debord, il n'y a aucune crainte à avoir sur ce point : contrairement à ce dernier, jamais Benjamin Péret ne sera déclaré Trésor national par l'état français.

Rappelons que ses œuvres complètes sont éditées chez José Corti - on peut en lire une partie en ligne ici - et qu'il existe une association des amis de Benjamin Péret.




(1) A ma connaissance depuis l'excellent Péret Benjamin, révolutionnaire permanent de Guy Prévan (Syllepse, 1999) essentiellement consacré à la trajectoire politique du poète. A noter également le documentaire de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de pain-là, DVD Seven Doc, 2015. Un entretien avec l'auteur par là.

(2) A quinze ans il peinturlure une statue de sa ville de Nantes; sa mère lui donne le choix entre la maison de redressement et l'armée (buts dans la vie ? - Guerre de 1914, ce qui a tout facilité ! sera sa réponse au Nouveau dictionnaire des contemporains de Galtier-Boissière).

(3) Péret adhère en 1926 au PCF qu'il quitte en 27 après avoir constaté la profonde hostilité du parti aux surréalistes. Il rejoint l'opposition de gauche puis le trotskysme organisé en 1930 pendant son séjour au Brésil. Expulsé par le gouvernement Vargas, retourné en France, il prend contact avec l'organisation trotskyste française qui refuse son adhésion - très probablement parce qu'il est, encore une fois, surréaliste...  Péret navigue ensuite entre les différents groupes qui veulent bien l'accueillir - dont l'Union Communiste - pour enfin se joindre en 36 au POI pour une fois unifié, tout cela en continuant d'animer aux côtés de Breton l'activité du groupe surréaliste. Il rejoint Barcelone dès août 36 pour travailler avec le POUM puis, déçu par ce dernier, rejoint la colonne Durruti sur le front d'Aragon. Menacé par les staliniens, obligé de se cacher pour échapper à la purge de Mai 37, il doit retourner à Paris. Là il participe à l'expérience de collaboration entre trostskystes et surréalistes dans la FIARI. Mobilisé en 40, il est bientôt emprisonné pour activités subversives, parvient à sortir de la prison de Nantes en achetant un gardien, rejoint Paris de plus en plus invivable, passe clandestinement la ligne de démarcation avec sa compagne Remedios Varo, arrive à Marseille, y travaille comme bien d'autres au Croquefruit, embarque enfin, en octobre 41 et grâce à l'aide de Varian Fry, Sherry Mangan et Peggy Guggenheim, sur le cargo portugais Serpa Pinto, pour Vera Cruz via Casablanca et La Havane. Au Mexique, il joint les réseaux survivants, tant trotskystes que surréalistes. Avec Natalia Sedova - la compagne de Trotsky assassiné l'année précédente - et Grandizo Munis il finit par rompre avec l'orthodoxie trotskyste de la défense inconditionnelle de l'URSS et publie le Manifeste des exégètes. Dès lors il fait partie de ces quelques irréfragables rétifs à tout patriotisme, fût-ce celui de la "patrie du socialisme" ou de "l'état ouvrier" qui, avec insistance, rappellent aux aveugles que le bon peuple de l'URSS trime comme tant d'autres pour une classe exploiteuse. Dans ce maigre bataillon il faut alors compter par exemple Aghis Stinas et les militants de Johnson-Forest. Avec le recul que nous offrent presque trois-quarts de siècle et après la convergence ô combien pacifique, en 1989, de deux systèmes d'exploitation qu'on nous présenta comme définitivement antagoniques, n'y a-t-il pas quelque ironie à voir combien des ultra-minoritaires peuvent avoir précocement raison ? Et que faut-il choisir, du soulagement rétrospectif ou de l'inquiétude prémonitoire, à la relecture de ces lignes prophétiques : 

"ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans le processus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste ou bien le régime stalinien est la première étape d'une nouvelle société d'exploitation. Si le deuxième pronostic se révèle juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendra une nouvelle classe exploiteuse. Cette seconde perspective aurait beau paraître fort lourde, si le prolétariat mondial apparaissait effectivement incapable de remplir la mission que le cours du développement place sur ses épaules, il ne resterait alors rien d'autre à faire que de reconnaître ouvertement que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste, s'est avéré une pure utopie. Il faudrait alors, évidemment, élaborer un nouveau programme "minimum" pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire."
Léon Trotsky - Défense du marxisme, Coyoacan, septembre 1939

Péret tentera des rapprochements sans avenir, avec Socialisme ou Barbarie, avec le libertaire Georges Fontenis, de façon ponctuelle avec les trotskystes quand l'état français menacera de (et mettra en) prison ceux qui soutiennent la lutte de libération des algériens. Mais son groupe d'élection jusqu'à sa mort restera celui des espagnols, autour de Grandizo Munis et Jaime Fernández Rodríguez, retournés clandestinement en Espagne fin 52, arrêtés dès 53, et pour la défense desquels Péret se démènera jusqu'à leur libération. C'est avec Munis que Péret crée un dernier petit groupe, le Ferment Ouvrier révolutionnaire, juste avant sa mort le 18 septembre 1959.

Pour plus de détails on lira avec profit le live de Guy Prévan, déjà cité. 

(4) p. 248 de son livre.




Et pendant ce temps-là...
...5 raisons, ou le brexit de la Rust Belt (en anglais des Etats-Unis) 

08/11/2016

Une semaine de lecture (1) : ...is watching you


 L'Obs,  23 octobre 2014,  page de couverture



La une de ce numéro historique, qui avait valu à "l'Obsolète" un prix décerné par la corporation, avait été placardé par deux mètres sur quatre dans le hall d'entrée. Ainsi, dès le seuil de "l'Obsolète", le visage monumental de Manuel Valls, percé par un regard noir de dément, fixait les visiteurs et leur assénait cette phrase, écrite sur la couverture : "Il faut en finir avec la gauche passéiste". Les standardistes qui travaillaient dans le hall avaient à plusieurs reprises demandé la permission de décrocher l'envahissant panneau, et certains journalistes avaient aussi émis le souhait de s'en débarrasser. Jamais le directeur de la rédaction ne voulut céder. Le gigantesque portrait, digne d'un démocrate nord-africain, y trônait encore, terrifiante allégorie d'une gauche en train de se dévorer elle-même...
Aude Lancelin - Le monde libre, 2016, Les liens qui libèrent éd., p. 117


07/11/2016

Tableaux parisiens : Rustique


André Kertész - Meubles Rustique,  Quartier Latin, Paris, 1925
Burger Gallery (via poboh)

06/11/2016

05/11/2016

Le bar du coin : Motley


Archibald J. Motley JR. - The Liar / Le menteur, 1936 
Huile sur toile
Howard University Gallery of Art, Washington, DC
Via Nasher Museum of Art at Duke University




Ce billet pour signaler l'exposition The color line (Musée du Quai Branly, du 4 octobre 2016 au 15 janvier 2017) où l'on pourra voir entre autres l'Octavonne (The Octoroon girl, 1925), dont le huitième de sang noir ne se remarque que dans le titre, et c'est justement là le point : le titre.

De et à propos de Motley, on peut en voir et lire plus ici ou (en anglais).

04/11/2016

Vendredi


Stèle tombale dans le cimetière d'esclaves d'une plantation à Chicora, Caroline du sud
Via Anonymous works




Les esclaves de plantations étaient enterrés dans des cimetières séparés. Après l'émancipation on continua un temps d'y enterrer les noirs libres, voire parfois leurs premiers descendants. Il semble que ce soit le cas, ici, de Friday (Vendredi) Heyward, qui n'aurait jamais vécu en servitude. 

Sur la façon dont on nommait les esclaves, on peut trouver quelques éléments ici (en anglais).