23/10/2016

Un chef d'orchestre, un philosophe et un marin (1) : bonheur prussien


Emil Doerstling - Preußisches Liebesglück / Bonheur d'amour prussien, Gustav Sabac el Cher et Gertrud Perlig, 1890
Deutsche Historisches Museum, Berlin
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En mars 1843, le prince Albert de Prusse, plus jeune fils de Frédéric-Guillaume IV, de passage en Egypte au cours d'un voyage en Orient, est reçu en son palais du Caire par Méhémet Ali. Le vice-roi lui fait cadeau, c'était l'usage, d'un jeune nubien de sept ans, fils d'une famille noble du Kordofan, province soudanaise qui s'était soulevée et avait été défaite. Son père tué et sa mère suicidée, le garçon avait été emmené en captivité. Le prince Albert lui donne le nom de Sabac el Cher, une expression arabe qu'il comprenait puisqu'elle signifie, paraît-il, guten morgen, bonne matinée.

Retournant à Berlin, le prince Albert emporte dans ses bagages Sabac el Cher qui est éduqué à la Cour, baptisé à 16 ans Auguste Albert Sabac el Cher. Il sera valet de chambre et laquais du prince, puis servira dans l'armée allemande, pendant la guerre prusso-danoise, puis à la bataille de Sadowa, enfin dans la campagne de France en 1870, où après maints combats il est décoré de la croix de fer.




 August Sabac el Cher quand il était valet,  en tenue orientale
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En 1867 August épouse Anna Maria Jung, fille d'un marchand de tissu prospère; ils ont deux enfants, Gustav en 1868, Elisabeth l'année suivante. A la mort du prince Albert, son fils le nomme Silberverwalter - intendant de la vaisselle du palais, poste recherché payé 600 marks-or par an. Naturalisé en 1882, il meurt en 1885.

Son fils, Gustav Sabac el Cher, étudie le violon après ses années d'école et devient musicien militaire, d'abord au 35ème fusiliers du Brandebourg puis à l'académie royale de musique, enfin chef de la musique du régiment de grenadiers "Frédéric III" à Königsberg - c'est alors une personnalité à la mode.





Gustav Sabac el Cher, photographié en 1908
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En 1901 Il épouse Gertrud Perlig, que l'on voit sur le tableau de 1890, et quitte l'armée en 1911 pour entamer une carrière brillante de chef d'orchestre civil, y compris à la radio sous la république de Weimar. A la fin des années 20 le ménage ouvre un restaurant à Königs Wusterhausen, près de Berlin, mais après l'arrivée au pouvoir des nazis la clientèle les boycotte. Ils lancent un café à Berlin mais doivent bientôt le fermer sous les pressions. Gustav meurt en octobre 1934, Gertrud le suit six mois  plus tard.


Portraits du colonisé dans l'uniforme clinquant de l'exception qui confirme la règle. Mais il y a peu d'élus, et il y faut le concours de beaucoup de bonnes étoiles - la faveur de plusieurs princes, l'attrait de la nouveauté orientalisante (on raffolait d'August servant en costume), le courage militaire, le don musical. Jusqu'à ce que le hasard ne joue plus le jeu. Reste le printemps passager d'un bonheur prussien, sur les murs d'un musée.



Quelques autres portraits de la famille Sabac el Cher, ici.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Merci pour toutes ces informations LE CHAT !