02/03/2013

Naissance, abandon, renaissance


Alexandre Askoldov - Комнссар / La Commissaire (1967)
Bande-annonce

Mis en ligne par  PeterShopMovie


 
La Commissaire, film de fin d'études d'Alexandre Askoldov, est en même temps le dernier qu'il ait pu réaliser. D'après une nouvelle de Vassili Grossman, c'est l'histoire d'une parenthèse dans la vie de Klavdia Vavilova (l'actrice Nonna Mordioukova), commissaire politique d'un régiment de l'Armée Rouge pendant la guerre civile, dans l'Ukraine de 1922. Enceinte, son commandant la met en congé pour accoucher dans la famille d'un ferblantier juif. Après des premiers contacts difficiles, la commissaire s'humanise peu à peu et sympathise avec sa famille d'accueil. Vient la naissance et la guerre reprend ses droits - on la voit donner le sein à son bébé, pleurer puis, laissant l'enfant là où il est né, partir en courant, image remplacée par celle du régiment avançant aux accents, évidemment, de l'Internationale.

Cas peu fréquent dans le cinéma soviétique, une famille juive est représentée avec tendresse et humour. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le film est censuré pour "propagande sioniste" - Askoldov a de plus la malchance de le réaliser au moment de la guerre des Six Jours. La sanction est extrêmement sévère : on ne se contente pas d'étouffer le film en ne tirant pas de copie, ce qui était l'usage courant, mais il est officiellement interdit. Askoldov est décrété professionnellement inadapté, exclu du Parti, radié de l'Union des Cinéastes. Par la suite il devra gagner sa vie comme ébéniste, avant d'émigrer.






Askoldov n'était que le cas le plus emblématique du regel du cinéma, cette vague de censure et d'inquisition qui devait frapper, dès la fin de l'ère Khrouchtchevienne, les réalisateurs de la Nouvelle vague russe des années 60, les chestidessiatniki : Elem Klimov, Larissa Chepitko, Mikhaïl Kalik, Andreï Mikhalkov-Kontchalovski... et, bien sûr, Iosseliani, Paradjanov et Tarkovski.

Lors du second dégel (celui de la perestroïka après le 27ème congrès de 86) c'est la révolution à l'Union des Cinéastes, qui vire 35 membres de son bureau sur 50. Elem Klimov est élu président et une Commission des conflits est nommée, qui va descendre des étagères les vieux films interdits. Mais c'est encore La Commissaire qui suscite le plus de résistance de la part des vieux du Goskino, probablement par antisémitisme, toujours (1). Les négatifs avaient survécu dans le coffre-fort de Sergueï Guérassimov, on les y avait retrouvés après sa mort mais il faudra six mois de discussion pour arracher l'autorisation du film. Le Nika (pour la musique d'Alfred Schnittke) puis l'Ours d'argent de la Berlinale sauveront définitivement La Commissaire en 1988.

Il faut revoir La Commissaire - pour la première fois édité en France, mardi prochain - c'est le meilleur du cinéma russe de l'époque, un lyrisme tournoyant, stylisé et sauvage, digne des meilleurs moments d'un Kalatozov.  



Le film peut être regardé en entier (et en russe sans sous-titres) ici. Ou encore . Le documentaire de Valeriï Balayan sur le film, ici.

Sur la censure soviétique de l'époque au cinéma, on peut lire de Martine Godet, La pellicule et les ciseaux, CNRS éd., 2010. Et, sur la préservation par le Gosfilmofond des films censurés, la contribution de Vladimir Dmitriev, La conservation comme acte d'histoire, in Gels et dégels (1926-1968), une autre histoire du cinéma soviétique, Bernard Eisenschitz dir. - éd. Centre Pompidou/Mazotta, Paris, 2002.


Alexandre Askoldov - Комнссар / La Commissaire (1967)
extrait : Le flash-forward de la commissaire
Mis en ligne par hadera6 


(1) Voir Marcel Martin, Le cinéma soviétique, L'âge d'homme éd. 1993, pp. 135-137. Le même auteur remarque que "la plus grave accusation portée contre le film est d'être de la "propagande sioniste", péché majeur aux yeux de gens pour qui toute judéité est censée faire l'apologie du sionisme, amalgame aussi malhonnête que l'assimilation de l'antisionisme à l'antisémitisme couramment pratiquée en d'autres lieux", ibid. p. 58.

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