30/11/2011

Le greffe : John Aldridge


John Aldridge – First frost, ca 1950
Source

28/11/2011

Duos : Marées


Hans von Marées - Doppelbildnis Marées und Lenbach/Double Portrait de Marées et Lenbach, 1863
Neue Pinakothek, Munich
Source : Wikimedia Commons

 

26/11/2011

L'art de l'achat et de la vente : Mabel Dwight


Mabel Dwight - Toy Shop Window, 1927-28
Source


Cette litho en quatre couleurs est parfois titrée Toy Shop Window, Paris. Elle fait partie des sujets que Mabel Dwight a ramenés de son séjour parisien (1926-27) pour les retravailler une fois retournée à New-York. Et puis le nom de l'artiste est caché quelque part, trouvez-le.


De Mabel Dwight, précédemment. Et encore.

25/11/2011

Transports en commun : Tramway suédois


Mikael Kihlman - Man och spårvagn/Homme et tramway, 2002
Source



Voir le site de Mikael Kihlman

23/11/2011

21/11/2011

Ayons congé : Maxwell Doig


Maxwell Doig - Centred Figure with Paperboats
Source : Albemarle Gallery



Et pendant ce temps-là...
...l'homme à qui Michelangelo Antonioni racontait son enfance : il faut acheter le n° de Novembre de Positif, rien que pour les pages 69 à 71 - Aldo Tassone : Michelangelo Antonioni, Autoportrait posthume
...l'homme qui surprenait les conversations de Julio Cortázar au café Cluny, à une heure du matin : José Tcherkaski - Las confesiones de Cortázar,  en espagnol, via Mágicas Ruinas

16/11/2011

Une semaine russe (7) : une chanson criminelle (1), et un hommage à Vitali Chentalinski



Tatiana Kabanova - Мама, я жулика люблю - Maman, j'aime un voleur
Mis en ligne par  VOLKOV DMITRIY


Dans la nuit de Noël, 24 décembre 1918 ancien style (2), une Rolls-Royce Silver Ghost roule dans les rues de Moscou - elle vient de dépasser la gare de Nikolaïev et fonce sur la route de Sokolniki. Brusquement, trois hommes armés de pistolets Mauser bloquent la route. Le chauffeur ralentit puis brusquement accélère, les inconnus s'écartent pour éviter la voiture qui s'arrête un peu plus loin. Les assaillants la rejoignent, ouvrent les portières et ordonnent aux passagers de descendre. Un homme se penche au-dehors

- Qu'y a-t-il, camarades ?
- Ferme-la, on te dit de descendre.

Par la manche, on le tire dehors. Deux hommes braquent leurs armes sur sa tête. Il fait le geste de sortir son laissez-passer...

- Bouge pas !
- Je suis Lénine, voici mes documents...

L'histoire a été plusieurs fois racontée, parfois enjolivée, mais elle est tout à fait véridique. Le compte-rendu le plus fiable est contenu dans le dossier n°215 des archives criminelles de la Sécurité d'Etat (3) conservées à la Loubianka, tel que l'a retranscrit Vitali Chentalinski (4).

Les voleurs étaient six : Ivan Volkov dit "petit cheval", Vassili Zaïtsev ("le lièvre"), Alexeï Kirillov ("le cordonnier"), Fiodor Alexeïev ("la grenouille"), Vassili Mikhalkov ("le noiraud") et leur chef Iakov Kochelkov dit kocheliok, "le porte-monnaie", alors le bandit le plus puissant de Moscou.


Une photo officielle de Iakov Kochelkov

C'est lui qui fouilla le manteau de Lénine, lui prit son portefeuille et son browning après lui avoir ordonné une nouvelle fois de la fermer - et cela se passait devant une foule de badauds qui, selon le rapport, "observaient avec curiosité, sans bouger". Un indice, au passage, de la popularité des chefs bolcheviks un an après Octobre.

Et les bandits partirent dans la nuit de Noël au volant d'une Rolls-Royce Silver Ghost. Elle était trop voyante pour qu'ils la gardent, et on la retrouva dans la nuit même sur un quai de la Moskova. C'est probablement la même qu'on peut encore voir au Musée de Gorki Leninskie.


Rolls Royce Silver Ghost, années 1910 - cadeau à Lénine des ouvriers des usines Poutilov
Musée de Gorki Leninskie


Après sa nuit de Noël, Iakov Kochelkov devint évidemment l'ennemi public n°1 - entre autres humiliations, Lénine avait dû se réfugier à pied dans le local d'un obscur soviet de quartier où les factionnaires l'avaient d'abord pris pour un plaisantin... La Tchéka arrêta et interrogea quelque deux cents personnes et la traque dura plusieurs mois. Le porte-monnaie échappa plusieurs fois à ses poursuivants en jouant du pistolet. Il finit par leur livrer un petite guerre privée. De haute taille, imposant avec sa capote et son bonnet caucasien, il pouvait passer pour un Tchékiste. "Il se procura des papiers en accord avec ce rôle et passa à la contre-attaque. Doté d'un culot monstre (...)  son modus operandi était le suivant : il se présentait chez un tchékiste et exigeait les adresses de ses collègues avant de l'abattre froidement... il s'amusait énormément. Il effectuait également des perquisitions et prenait l'argent et l'or des entreprises en préservant toutes les formes légales :  il convoquait l'administration et le syndicat et procédait à la "saisie" en présence des ouvriers. Il arrêtait aussi les militaires et leur confisquait leurs armes. Plus tard, ceux-ci se présentaient à la Loubianka pour demander qu'on leur rendît leurs revolvers..." (5). Finalement, on l'abattit devant un immeuble où il se rendait et que la Tchéka avait transformé en souricière. Dans sa poche, il avait toujours le browning de Lénine. 

Lequel en garda un souvenir durable : dans un passage de la maladie infantile du communisme, le gauchisme il fait le parallèle entre son action et celle des bandits de Kochelkov pour justifier ainsi le traité de Brest-Litovsk avec l'Allemagne :
"Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vous leur donnez votre argent, votre passeport, votre revolver, votre auto. Vous vous débarrassez ainsi de l'agréable voisinage des bandits. C'est là un compromis, à n'en pas douter. "Do ut des" (je te "donne" mon argent, mes armes, mon auto, "pour que tu me donnes" la possibilité de me retirer sain et sauf). Mais on trouverait difficilement un homme, à moins qu'il n'ait perdu la raison, pour déclarer pareil compromis "inadmissible en principe", ou pour dénoncer celui qui l'a conclu comme complice des bandits (encore que les bandits, une fois maîtres de l'auto, aient pu s'en servir, ainsi que des armes, pour de nouveaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l'impérialisme allemand a été analogue à celui-là"(6).

En un sens, la rencontre de Lénine et Kochelkov est une allégorie : le pouvoir bolchevik face au crime de droit commun - chacun revendiquant le droit exclusif de définir ses propres règles. Entre ces deux usages de la force il existe pourtant une différence, que Kochelkov avait notée dans le petit carnet qu'on retrouva sur son cadavre :
 "On me traque comme une bête : nul n'est épargné. J'ai laissé la vie à Lénine. Que veulent-ils donc de plus ?" (7)

Le voleur vous prend la pelisse, mais il vous laisse la vie sauve. Le parti-despote, lui, a tendance à fusiller d'emblée. 

Kochelkov n'était qu'un grain de sable : depuis août 1918 et la tentative d'assassinat attribuée à Fanny Kaplan, la machine de la Tchéka tournait à plein régime. Une des curiosités de ce dossier est que Martynov, le flic de la Tchéka qui retrouva Kochelkov, faisait rédiger ses souvenirs par deux écrivains connus - mais il ne réussit pas à se faire publier. C'est ainsi que Vitali Chentalinski retrouva dans le dossier n°215 (8) deux récits écrits pour Martynov, l'un par Mikhaïl Boulgakov - qui devait plus tard connaître lui-même les interrogatoires, la censure et le silence forcé - et l'autre par Isaac Babel, qui finit vingt ans après dans le hachoir de la Loubianka (9).



(1) Les blatnaya pesnya, qu'on traduit un peu improprement par "chansons criminelles" ou "chansons de criminels" forment un répertoire qui plonge ses racines dans les chants de prisonniers et la romance urbaine (gorodskoï romans) du XIXème siècle, mais se renouvelle dans le milieu social de la mafia d'Odessa au moment de la NEP. Il y trouve des musiciens formés par le klezmer ashkenaze et le jazz. Le genre se diffuse ensuite dans le reste de l'URSS. Ce répertoire très populaire mêle tout au long du XXème siècle et jusqu'à nos jours chants de déportés, de voleurs et de contestation sociale. Il a été chanté par de grands artistes comme Arkadi Severnyi, ou, à ses débuts, Vladimir Vissotsky. Blatnaya vient du mot blat - la combine, le piston, ce qui se fait en marge de la loi.

(2) Calendrier julien, soit le 6 janvier 1919 grégorien.

(3) KGB, ex-GPOu, ex-Tcheka.

(4) Vitali Chentalinski, Les surprises de la Loubianka, Nouvelles découvertes dans les archives littéraires du KGB, trad. Galia Ackerman et Pierre Lorrain, Laffont 1996, pp. 7-26.

(5) Vitali Chentalinski, Les surprises de la Loubianka, p. 21.

(6) V.I. Lénine, La maladie infantile du communisme, le gauchisme, 1920, IV.

(7) Cité par Vitali Chentalinski, Les surprises de la Loubianka, p. 23.

(8) Cf  Vitali Chentalinski, Les surprises de la Loubianka, pp. 24-26.

(9) Et cela, c'est aussi Chentalinski qui l'a raconté le premier, cf. La parole ressuscitée, dans les archives littéraires du KGB, Laffont, 1993 pp. 36-101.




Et pendant ce temps-là...

15/11/2011

Une semaine russe (6) : Pakhomov/Deineka ou le bel été


Alexandre Deineka - Sur le balcon, 1931 
Galerie Tretyakov, Moscou



Alexeï Pakhomov - Baignade des marins de la Flotte rouge, 1933 
Galerie Tretyakov, Moscou


Deineka et Pakhomov ont peint les corps en liberté comme peu de peintres russes au début des années 30 - et encore moins à la fin de ces même années. Ici nous sommes probablement en Crimée chez Deineka, et peut-être aussi chez Pakhomov.


Et pendant ce temps-là...

14/11/2011

Une semaine russe (5) : le profil et le portrait



Vladimir Vissotsky - Банька по белому / Une bania blanche
extrait du film Страсти по Владимиру / La passion selon Vladimir, Mark Rozovsky, 1990
Mis en ligne par jehovd


Probablement la plus belle chanson de Vladimir Vissotsky (1938-1980). Merci à Sarah P. Struve de m'avoir permis de reproduire sa traduction française. Son blog, Stengazeta, ravira tous ceux qui aiment la Russie, et la chanson russe.


Протопи ты мне баньку, хозяюшка,
Раскалю я себя, распалю,
На полоке, у самого краюшка,
Я сомненья в себе истреблю. 

Patronne ; chauffe-moi une bania (1),
Je m'enfièvrerai, m'enflammerai,
Sur le bord même du banc de la bania,
En moi, le doute, j’extirperai.

Разомлею я до неприличности,
Ковш холодный - и все позади.
И наколка времен культа личности
Засинеет на левой груди.

De chaleur jusqu’à l’inconvenance, je me griserai,
Un seau d’eau froide ; et au loin, tout s’estompera,
Et le tatouage de l’époque du culte de la personnalité (2),
Sur la poitrine gauche, bleuira.

Протопи ты мне баньку по-белому -
Я от белого свету отвык.
Угорю я, и мне, угорелому,
Пар горячий развяжет язык.

Chauffe-moi une bania blanche (3),
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Déliera la langue, la vapeur me brûlant. 
 
Сколько веры и лесу повалено,
Сколь изведано горя и трасс,
А на левой груди - профиль Сталина,
А на правой - Маринка анфас.

Combien de fois (4) et de forêts furent abattues,
Combien de malheurs et de chemins furent connus !
Sur la poitrine gauche : Le profil de Staline
Et sur la droite : Le portrait de Marinka (5).

Эх, за веру мою беззаветную
Сколько лет отдыхал я в раю!
Променял я на жизнь беспросветную
Несусветную глупость мою.

Oh, pour ma foi de charbonnier,
Combien d’années me suis-je reposé au paradis !
Pour une vie sans issue, j’ai échangé
Mon insondable idiotie.

Протопи ты мне баньку по-белому...
Chauffe-moi une bania blanche...
 
Вспоминаю, как утречком раненько
Брату крикнуть успел: "Пособи!"
И меня два красивых охранника
Повезли из Сибири в Сибирь.

Je me souviens comme tôt, au petit matin,
J’ai eu le temps de crier - aide-moi, frère !
Et deux beaux gardiens,
De Sibérie en Sibérie, m’emmenèrent.

А потом на карьере ли, в топи ли,
Наглотавшись слезы и сырца,
Ближе к сердцу кололи мы профили
Чтоб он слышал, как рвутся сердца.

Et après dans les carrières ou les marais,
Ayant avalé des larmes et de l’humidité
Nous tatouions son profil plus près du cœur
Afin qu’il entende comment se déchirent nos cœurs.

Протопи ты мне баньку по-белому...
Chauffe-moi une bania blanche...
 
Ох, знобит от рассказа дотошного,
Пар мне мысли прогнал от ума.
Из тумана холодного прошлого
Окунаюсь в горячий туман.

Oh, mon corps s’enfièvre de ce récit jusqu’à la nausée,
La vapeur chasse de l’esprit, les pensées,
Du froid brouillard du passé
Je m’engloutis dans un brouillard surchauffé.

Застучали мне мысли под темечком,
Получилось - я зря им клеймен,
И хлещу я березовым веничком
По наследию мрачных времен.

Les pensées se mettent à cogner sous mon crâne,
Il s’avère que par elles je fus marqué inutilement,
Et, avec des branches de bouleau, je fouette,
L’héritage des sombres temps.

Протопи ты мне баньку по-белому -
Я от белого свету отвык.
Угорю я, и мне, угорелому,
Пар горячий развяжет язык.

Chauffe-moi une bania blanche
De la lumière blanche, je me suis déshabitué.
Je m’asphyxierai et, à moi le délirant,
Déliera la langue, la vapeur me brûlant.



(1) La bania ou banya est le bain à étuve russe, ici probablement dans sa version sibérienne. Celui qui est censé parler par la bouche de Vissotsky est un ancien Zek, un détenu de l'époque stalinienne, qui égrène ses souvenirs de camp. 

(2) времен культа личности - (de) l'époque du culte de la personnalité : c'était l'expression consacrée, à partir de la période khrouchtchévienne du régime soviétique, pour désigner le stalinisme - circonscrit dans cette version  officielle entre le milieu des années 30 et le XXème congrès du PCUS (1956). 

(3) La bania blanche est une des variantes de la bania russe - pour plus d'explications sur les différences entre bania noire et bania blanche, voir par exemple ici.

(4) веры : c'est le pluriel de верa - foi, croyance, confiance.

(5) Marinka : probablement Marina Vlady, la compagne du chanteur.  

13/11/2011

Une semaine russe (4) :Ciel... Chichkine


Ivan Chichkine - Рожь/Le seigle, 1878
Galerie Tretyakov, Moscou


Ensemble Dmitri Pokrovsky - Porushka
Mis en ligne par fred166

12/11/2011

Une semaine russe (3) : les soirées avec Darius Milhaud


Darius Milhaud - Les Soirées de Pétrograd, op 55 - L'Ancien Régime
Jane Bathori, mezzo-soprano - Darius Milhaud, piano
Enregistré à Paris le 8 Novembre 1928
Mis en ligne par kantorlive

L'Orgueilleuse
Pourquoi, Princesse de Ballet, 
Refuses-tu ta bouche?
Les coulisses du Châtelet
Sont elles si farouches?
Tu n'étais jadis à Moscou
Que fille de cuisine,
Les chauffeurs te baisaient au cou
Qui sentaient la benzine.

C'est en 1919, deux ans après la révolution, que Darius Milhaud compose les Soirées de Pétrograde (le titre comporte bien un e final). La première partie - l'ancien régime - présente six portraits de femmes russes fantasmées. La seconde - la révolution - déroule une galerie de personnages politiques qui incarnent la décadence de la Russie tsariste puis la chute finale des Romanov. 

Ici la polytonalité chère à Milhaud donne des profondeurs inattendues à une badinerie qui, sans prévenir, vire  au macabre - et qui fut fort mal reçue par les premiers émigrés russes qui l'entendirent. Quand on évoque l'illustration musicale de la grande histoire politique on a tendance à penser à de grandes machines comme les symphonies de Chostakovitch - ou plus près de nous les opéras de John Adams, ainsi Nixon in China. Pourtant, composées à chaud juste après l'événement, les pièces courtes que sont les Soirées de Pétrograd se gravent elles aussi dans la mémoire. D'une joliesse vénéneuse, elles ont en même temps la sécheresse du couperet.

Les paroles, pour lesquelles il faut remercier le Lied Archive, sont de René Chalupt. On le retrouve mis en musique chez Francis Poulenc, Georges Auric et Erik Satie. Et on peut encore lire de ses poèmes.

Les extraits chantés ici par Jane Bathori sont indiqués en jaune - dans la seconde partie j'ai intercalé quelques commentaires.

La Révoltée
Ma tourterelle, mon amie
Suit des cours au Gymnase;
Combinant acides et bases
Elle apprend la chimie.
Elle sera prostituée
Et jettera des bombes
Car le sang des reines tuées
Est doux à ma colombe.
La Martiale
Le grand Turc apprend ce qu'il cuit
Aux Kurdes en déroute.
Quand le jeune hetman les poursuit
Par les gorges sans route.
Mais son regard devient dément
Lorsqu'aux hordes soumises
Le vainqueur, changeant de chemise,
Montre deux seins charmants. 
L'Infidéle
O Catherine Ivanowna,
O ma douce colombe,
Quitte ce vieux banquier qui n'a
Déjà qu'odeur de tombe.
On jase dans tout le district
De nos mains désunies.
Songe à mon coeur fidèle et strict,
A sa peine infinie.
La Perverse
Qu'elle était donc tentatrice
Lors du bal au Palais d'Hiver
La gorge de l'Ambassadrice
Sous l'écharpe en tulle vert!
Ce fut, à son gré, l'école
Buissonnière en plus d'un cas
Sous le manteau du Protocole
Pendant quatre mazurkas.
L'Irrésolue
N'écoute pas, Anastasie,
Ce discours qui te trouble.
Repousse ces colliers d'Asie
Ces bagues et ces roubles.
Le bras s'empourpre à l'aventure
Aux champs de Volhynie
Qui sera la rouge ceinture
De tes hanches unies? 
 
 

Darius Milhaud - Les Soirées de Pétrograd, op 55 - La Révolution (extraits) :
La Grand' Mère de la Révolution - Monsieur Protopopoff - Le Convive - La Limousine
Jane Bathori, mezzo-soprano - Darius Milhaud, piano
Enregistré à Paris le 8 Novembre 1928
Mis en ligne par kantorlive

 La Grand' Mère de la Révolution
Qu'un jour à la gare Alexandre,
Rentrant de Sibérie,
La foule la verrait descendre
D'un sleeping-car fleuri,
Eût-elle rêvé d'aventure
Cet accueil amical
Durant sa villégiature
Aux bords du Baïkal?
Catherine Breschko-Breschkovskaïa (1844-1934) était surnommée la Grand-mère de la Révolution Russe (бабушка русской революции). Militante populiste exilée en Sibérie de 1874 à 1898, elle fait partie en 1901 des membres fondateurs du Parti Socialiste Révolutionnaire. Réfugiée en Suisse puis aux Etats-Unis, revenue en Russie en 1905, elle est de nouveau exilée en Sibérie. Libérée en 1917 elle intègre le gouvernement Kérensky. Après la prise du pouvoir par les bolcheviks elle doit fuir de nouveau et meurt en Tchécoslovaquie.
Les journées d'Août
C'est vous qu'au Palais de Tauride,
Funeste privilège,
J'évoque par ce jour torride,
Princesse de collège.
J'oublie
Ouvriers et Soldats
Pour vous, Iphigénie,
Et la fraicheur de ce soda
Me parait infinie. 
Ces journées d'Août peuvent faire allusion à la fois à celles d'août 1792 - véritable chute de la royauté en France - et à celles d'août 1917 à Pétrograd qui voient les bolcheviks revenir sur le devant de la scène et obtenir finalement la majorité au soviet des ouvriers et soldats de Pétrograd, qui siégeait au palais de Tauride. Allusion également à l'Iphigénie en Tauride d'Euripide et de Gluck, à la princesse sacrifiée mais miraculeusement épargnée. Les révolutions parfois immolent les princesses, et ce fut le cas de celle de 1917.
Monsieur Protopopoff
Regardez ce Monsieur qui va
Monter en limousine
Et cause avec Viroubova
Que l'on dit sa cousine.
L'Esprit l'a comblé de ses dons
Et parle en sa parole;
Il enchante les guéridons
Et charme les consoles. 
Alexandre Protopopov (1866-1918) fut le dernier ministre de l'intérieur, réputé dément, du régime tsariste. Anna Vyroubova était demoiselle d'honneur et confidente de la tsarine Alexandra Fiodorovna, femme de Nicolas II. Tous deux étaient sous l'influence de Raspoutine.
Le Convive
Elles t'aiment plus que la vie;
Tu les mettrais au désespoir
Si tu ne venais pas ce soir
Au souper où je te convie.
Viens.
Il y aura sous mon toit
Les plus belles de tes compagnes,
Des roses rouges du champagne
Et une surprise pour toi.
Le Convive décrit, en forme d'invitation, le souper du 29 décembre 1916 au cours duquel le prince Félix Youssoupov et ses complices entreprirent d'assassiner Raspoutine, d'abord en l'empoisonnant avec du vin et des gâteaux au chocolat additionnés de cyanure - c'est la surprise. Le poison ne suffisant pas, trois des conjurés, successivement, tentèrent ensuite de l'achever de plusieurs coups de pistolet, puis en le bastonnant.

La Limousine
Sous la neige, la Rolls Royce 
S'arrête le long du quai. 
Ah! l'étrange, le lourd paquet 
Qu'ils cachent sous leurs pelisses! 
Aux cent cloches de la Néva, 
Tandis que sonnent matines, 
Le très saint moine Raspoutine 
Docile au destin s'en va.

La Limousine est la voiture dans laquelle Youssoupov et les autres conjurés chargèrent Raspoutine, dans son manteau de castor et enveloppé dans un drap, pour l'immerger dans la Néva dont ils durent auparavant briser la glace. Le corps fut remonté le 1er janvier et l'autopsie montra que Raspoutine était encore vivant quand on l'avait jeté à l'eau - docile au destin est ainsi une litote. Moins de dix semaines plus tard, la révolution éclatait.
Le colonel Romanoff
Le soir vient; la bise têtue
Dévaste les bouleaux;
La voix des fontaines s'est tue
A Tsarkoie Selo.
Poursuivant son ombre qu'allonge
Le couchant solennel,
Erre dans le palais de songe
Un pâle colonel.
Plus probablement que le tsar déchu errant en simple uniforme, le colonel Romanoff est Nicolas Konstantinovitch Romanov, grand-duc de Russie et cousin germain d'Alexandre III, l'avant-dernier tsar et père de Nicolas II. Ce Nicolas Konstantinovitch, explorateur de l'Asie centrale et pionnier de la culture du coton au Turkestan, est le dernier héros excentrique - peut-être mouton noir persécuté, peut-être aliéné et kleptomane - de la famille Romanov. Accusé en 1874 d'avoir volé et vendu les diamants d'une icône appartenant à la famille impériale pour faire des cadeaux à sa maîtresse, Fanny Lear, il est déclaré fou, interné et même enfermé dans un carcan. Plus tard il est exilé à Tachkent où il se fait construire un palais - sur lequel il aurait hissé le drapeau rouge après la révolution de février. Le poème de Chalupt le montre retournant à Pétrograd et visitant le palais Alexandre de Tsarskoie Selo où son petit-cousin Nicolas II est enfermé avec sa famille, après son abdication en mars 1917. Nicolas Konstantinovitch était effectivement colonel de la garde à cheval.

11/11/2011

Une semaine russe (2) : Le Pétersbourg de Doboujinski


Mstislav Valerianovitch Doboujinski - Petite maison à St-Pétersbourg, 1905
Source : Диаскоп


Ce billet pour faire suite à celui d'hier, à propos de Doboujinski. Aujourd'hui on le connaît surtout comme décorateur de théâtre pour Stanislavski et Diaghilev - et accessoirement parce qu'il fut le professeur qui persuada Vladimir Nabokov qu'il était écrivain et non pas peintre. Mais Doboujinsky fut aussi l'œil qui vit le mieux Pétersbourg dans les vingt premières années du XXème siècle...


 Mstislav Doboujinski - La drague
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...spécialement en cette année 1921... 


 Mstislav Doboujinski - La cathédrale St Isaac sous une tempête de neige
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...les artistes crevaient de faim, tous, Blok, Biély, Akhmatova...


 Mstislav Doboujinski - l'Hiver au jardin d'été
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


 ...ils étaient les "chasseurs de rations"...


Mstislav Doboujinski -  Le Pont aux Lions
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...car pour avoir les rations il fallait être rattaché à une usine, ou être dans les petits papiers d'un soviet, ce qui n'était pas leur cas...


 Mstislav Doboujinski - Quai de la Priajka
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...mais parmi eux c'est Iouri Annenkov qui avait trouvé le meilleur moyen de ne pas mourir de faim : il organisait des cours d'histoire de l'art pour les miliciens...


Mstislav Doboujinski - Jardin sur le canal latéral
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...ce qui permettait de toucher leurs rations spéciales et même, dans certains cas, celles de la Flotte de la Baltique.


Mstislav Doboujinski - La forteresse Pierre-et-Paul
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


Annenkov trouva ainsi du travail pour Doboujinsky, qui alla enseigner aux miliciens...


 Mstislav Doboujinski - Les Sphinx
Lithographie extraite du recueil Pétersbourg en l'an 21, 1923.


...l'histoire et l'architecture des monuments qu'ils surveillaient. 

Cette année-là au mois d'Août, Alexandre Blok, l'auteur des Douze, parfaitement inapte à la chasse aux rations, mourut tenaillé par la faim. Et Iouri Annenkov fit son dernier portrait (1).


 Iouri Annenkov - Alexandre Blok sur son lit de mort, 1921


De toute façon cette année-là, même les marins de la Flotte de la Baltique avaient tiré dans le sang de Kronstadt les leçons de la famine.

Doboujinsky survécut - et il quitta l'URSS en 1924. Annenkov partit la même année, sans plus d'illusions - en faisant le portrait de Lénine, il avait recueilli les pensées de son modèle sur l'art et les artistes 

"— Vous savez, je ne suis pas calé en art, dit Lénine (...) l’art c’est pour moi... quelque chose comme un appendice intellectuel, et lorsque son rôle de propagande, qui nous est indispensable, sera accompli, nous le couperons – clac-clac ! A cause de son inutilité" (2).

En 1929 Annenkov trouve Maïakovski errant, affamé et misérable, à Monte-Carlo - son salaire bloqué en URSS il a tenté de se refaire au jeu et perdu sa chemise. Annenkov le dépanne et Maïakovski lui demande quand il compte retourner au pays. Annenkov répond qu'il veut rester un artiste et qu'il ne reviendra donc pas. "Maïakovski m'a donné une tape sur l'épaule, il s'est soudain assombri et a dit d'une voix rauque 
- Moi j'y retourne, puisque je ne suis plus poète." Il éclate en sanglots et chuchote, presque inaudible "à présent, je suis... fonctionnaire" (3). Clac-clac, comme disait Lénine.

Doboujinski travaillera pour le théâtre, en Lituanie et aux Etats-Unis où il mourra. Pendant la seconde guerre, il y dessinait des paysages d'une lointaine Léningrad assiégée, qu'il appelait probablement encore Pétersbourg.


Mstislav Doboujinski - Illustration pour les Nuits Blanches de Dostoïevski, 1922-23
Source : Olga's Gallery



(1) Dans Littérature et Révolution, trois ans plus tard, Léon Trotsky versera quelques larmes sur Blok. Des documents déclassifiés en 1995 jettent une lumière plus crue sur le sinistre vaudeville bureaucratique qui accompagna son agonie. Gorki et Lounatcharski se battent jusqu'au bout pour que Blok soit autorisé à partir en Finlande dans un sanatorium. Pendant des mois Lénine atermoie, la Tchéka faisant valoir le risque que Blok écrive un jour "des poèmes contre nous" (Menjinski, N°2 de la Tchéka, dans un rapport à Lénine). Puis le Politburo autorise Blok à partir sans sa femme - ainsi retenue en otage - alors qu'il ne peut se déplacer seul. Quand enfin vient le laissez-passer pour les deux époux, le 5 août, il est trop tard et  Blok meurt le 7. Sur cette affaire voir Bengt Jangfeldt, La vie en jeu, une biographie de Vladimir Maïakovski, Albin Michel 2010, pp. 183-184.

(2) Iouri Annenkov, Vies et Œuvres, extrait, traduction de Pavel Chinsky, Revue Labyrinthe, n°6, 2000.

(3) Iouri Annenkov, Journal de mes rencontres, cité par Bengt Jangfeldt, La vie en jeu, une biographie de Vladimir Maïakovski, Albin Michel 2010, pp. 425-426. Excellent livre bourré d'archives pas forcément bien connues du lecteur français.

10/11/2011

Une semaine russe (1) : Nesterov/Doboujinski ou l'art de la fenêtre


Mstislav Valerianovitch Doboujinski - L'homme aux lunettes (portrait du critique d'art et poète Konstantin Siunnenberg) 1905-06
Galerie Tretyakov, Moscou
Via It is snowing in Nakonxipan




Mikhaïl Vassiliévitch Nesterov - Portrait d'Ivan Pavlov, 1935
Galerie Tretyakov, Moscou
Source : Olga's Gallery



Doboujinski et Nesterov représentent deux aspects successifs du symbolisme (1) russe en peinture. A ses débuts Nesterov fit partie des Peredvijniki, les Itinérants - ces peintres qui rompaient le confinement académique de Pétersbourg pour organiser des expositions ambulantes, et qui furent le pendant artistique du populisme russe des années 1860-70. Mais Nesterov fut aussi un rénovateur du paysagisme et un peintre religieux, installant les saints de la Vieille Russie dans des vues préraphaélites.

Doboujinski pour sa part est de la génération suivante - celle du Mir Iskusstva, le Monde de l'Art - influencée par le Jugendstil  et l'Arts & Craft Morrissien. Il y incarne une sensibilité à part - c'est un peintre quasi-expressionniste de la ville moderne, de ses tensions et de son perpétuel bouleversement.

L'ironie de l'histoire fait que l'occidentalisé Doboujinski, qui sera délégué au second congrès de la IIIème internationale, choisira in fine de quitter la Russie soviétique et mourra à New York. Tandis que le slavophile Nesterov finira sa vie dans une URSS dont l'idéologie lui demeurera jusqu'au bout parfaitement étrangère.

Le complément paradoxal de cette histoire, c'est que l'homme que Doboujinski campe devant un paysage en pleine mutation industrielle, Konstantin Siunnenberg (dit aussi Konstantin Erberg) est l'un des purs représentants de cette seconde génération symboliste, théurgique, idéaliste et platonicienne à la manière de Soloviev : celle des Biély et des Blok. Et que le modèle de Nesterov, devant un alignement de paisibles isbas, n'est pas un bienheureux mais Ivan Pavlov, découvreur du réflexe conditionnel et, à défaut d'Orthodoxie, saint patron du behaviorisme.

Et de ces deux peintres, c'est bien le plus profondément religieux qui paraît s'accommoder le mieux d'un réalisme qu'on appelle un peu rapidement socialiste.





(1) Et du réalisme : en Russie comme ailleurs les deux courants sont intimement liés.







08/11/2011

Le greffe : Mal Coiffée



La Mal Coiffée - Lo gat/Le chat
Mis en ligne par labelsirventes

07/11/2011

Ciel... Robert Henri

Robert Henri - Café du Dôme ou On the Boulevard Montparnasse, 1892
Via Daily Artist