19/03/2011

L'art de la chute : Bas Jan Ader




Bas Jan Ader - Fall 1, 1970
Mis en ligne par magasary


Bas Jan Ader naît dans une famille de pasteurs hollandais, à Winschoten, en 1942 - deux ans plus tard son père sera torturé et exécuté  pour avoir abrité des Juifs. Premières études artistiques peu concluantes, puis stage aux Etats-Unis à Washington DC où il arrive même à vendre un truc à Jackie Kennedy. Retour aux Pays-Bas qui ne lui sourient pas plus qu'avant, et en 1961 départ pour le Maroc en auto-stop, engagement sur un yacht qui fait naufrage en Californie, où Ader s'installe. Etudes  d'art et de philosophie, puis à partir de 1970 la période conceptuelle où il produit ses oeuvres les plus connues, les Chutes et I'm too sad to tell you (1971) sur les thèmes récurrents de la chute, de l'échec et de la perte de maîtrise. Souvent comparés au slapstick keatonien ou à la naïveté calculée de Beckett, les (très) courts métrages d'Ader jouent sur l'écart entre une méticuleuse préparation et la recherche d'une sincérité  - ou, comme Ader l'aurait dit, d'une pureté - qui est un résultat de la performance plutôt que sa condition. Une organisation de l'accidentel, une recherche obsessionnelle de l'imprévu, comme remède à la mélancolie.




Bas Jan Ader - Broken Fall (Geometric), 1971
Mis enligne par renanllaraujo


En juillet 1975, dans le cadre d'un tryptique-performance appelé In Search of the Miraculous (1) Ader part du Cap Cod pour une traversée en solitaire de l'Atlantique sur un Guppy 13, petit bateau à voile de 12 pieds 6 pouces. Le contact radio est perdu trois semaines plus tard, seul son bateau, l'Ocean wave, sera retrouvé en avril de l'année suivante au large de l'Irlande. Amené à La Corogne par le chalutier espagnol qui l'avait découvert, l'Ocean wave, volé dans le port, ne sera jamais retrouvé par la suite - ce qui suffit à conforter dans leur conviction ceux qui pensent qu'Ader est  vivant à Barcelone ou ailleurs, ou même qu'il  vogue toujours quelque part, nouveau Hollandais Volant à la recherche interminable du miracle.



Bas Jan Ader - Métrage récemment retrouvé à U.C. Irvine, où il enseignait
Mis en ligne par PatrickPainterGaller


Ader était un lecteur de Hegel, qu'il photocopiait à ses élèves en école d'art. Son ami William Leavitt a rapporté ce fragment de leurs conversations : après avoir cité un vers d'une de ses chansons préférées "It's not just a feeling, it's a philosophy" - Ader décrivait une oeuvre jamais réalisée : "I want to do a piece where I go to the Alps and talk to a mountain. The mountain will talk of things which are necessary and always true, and I shall talk of things which are sometimes, accidentally true." On ne peut évidemment s'empêcher de penser au C'est ainsi du philosophe devant la triste et ennuyeuse réalité des mêmes montagnes. Vue sous cet angle, la recherche du miraculeux par laquelle Ader va mettre un terme à son activité créatrice et à sa vie tout court pourrait être une quête de la dissonance, de la discordance révélatrice et salvatrice au sein du réel-rationnel (2).


Le (superbe) site officiel est ici,  quelques images supplémentaires et le film ici.



(1) Le premier volet est documenté par une série de photos d'Ader dans les rues de Los Angeles. Le troisième aurait repris le même dispositif, mais cette fois dans les rues d'Amsterdam, après la traversée.

(2)  "Ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel", "Was vernünftig ist, das is wirklich, und was ist wirklich, das ist vernünftig". Et ce n'est qu'un angle de vue, toute cavalière, car le Es ist so  d'un Hegel de 25 ans devant les Alpes ne se situe pas dans le même cadre de réflexion que la Préface aux principes de la philosophie du droit, un quart de siècle plus tard. Mais ce genre de vue cavalière sert parfois de pont aux artistes - it's not just a philosophy, it's also a feeling.


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