31/01/2011

Paris - le froid Paris : Henri Rivière

Henri Rivière - Du haut des tours de Notre-Dame
Chromolithographie - série des huit Paysages Parisiens, 1900
Via real-funny-lady

30/01/2011

Au pays de la magie














29 Janvier, rassemblement de soutien à la lutte du peuple égyptien, Paris, place de l'Uruguay, assez près mais assez loin de l'ambassade d'Egypte. Retour par le métro...




...Etoile.

"En l'an 493 de la troisième siriade de leur ère, la ville d'Oboar qui est la deuxième en importance, un grand hurlement l'entoura. D'emblée, il fut démesuré. Le vent ne l'expliquait pas entièrement."
Henri Michaux - Au pays de la magie, 1941.




The Bangles - Walk like an Egyptian
Mis en ligne par systaime

28/01/2011

Fictions et Voeux pour l'amer Ministère






Il s'est fait pas mal de bruit autour de la vente (pardon, du bail emphythéotique de quatre-vingt-dix  neuf ans au plus) de l'Hôtel du Ministère de la Marine, place de la Concorde.

Et les projets annoncés  donnent comme rarement dans ce comique involontaire qui est désormais la marque du capitalisme français tardif : sera-ce une Maison Europe-Chine ("j'ai déjà les 300 clients chinois" nous dit le promoteur) - 40% du bâtiment privatisés à l'usage d'un club de 600 membres géré par le groupe hôtelier Shangri-La  ? 




Ou une Cité de la gastronomie dont l'ancien président de l'Université Paris-IV a eu la vision dans le droit fil "du dossier de candidature de la gastronomie (française) au patrimoine immatériel de l'Unesco" ?


Victor Marais-Milton - Le nouveau cuisinier


Simple suggestion au passage, on pourrait y ajouter une démonstration, permanente et in vivo, du  savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, en attendant qu'il soit lui aussi inscrit dans le livre d'or de l'humanité (1).


Félix Vallotton - La charge



Et le troisième dossier, celui qui aurait les faveurs, serait celui d'un lieu où les différentes disciplines artistiques pourront croiser les savoir-faire traditionnels - entendez : 18 appartements et 74 suites, une brasserie, un café et une alternative au cas où Drouot-Montaigne ferme. Le tout moyennant des capitaux  (peut-être) Qataris, grâce à l'entregent de Renaud Donnedieu de Vabres et sous l'oeil sourcilleux de Jean Nouvel - il n'y aurait ni boutiques ni commerces de luxe nous assure Le Monde du 19 janvier, d'où les chats tirent leur savoir - et leurs moustaches frémissent d'excitation : pourrait-on espérer le réinvestissement de la tonne d'or et demie de Mme Leïla Trabelsi ?

Antiquaille, champagne et petits fours servis dans le boudoir de Marie-Antoinette par de charmants jeunes gens en contrat précaire, décor soigné pour un prochain film de Woody Allen ou Sofia Coppola, que rêver de plus ? Eh bien, peut-être...



Charles Meryon - Le Ministère de la Marine (Fictions et Voeux), 1865-1866, eau-forte.


Le Ministère de la Marine est la seule gravure exécutée par Meryon sur commande de la Société des Aquafortistes, et une des deux dernières qu'il ait tirées d'un sujet parisien. On sait (2) qu'elle lui a pris un an et demi d'effort (deux dessins préparatoires et sept états successifs de janvier 1865 à août 1866) et qu'elle lui a causé pas mal de peine et d'angoisse, selon le docteur Paul Gachet (3) qui l'a soigné à  l'asile de Charenton où Meryon fut admis, pour la seconde fois et définitivement, deux mois et douze jours après la publication de cette estampe.

A la fin de sa vie Meryon mêle, dans trois gravures qui figurent parmi ses chefs-d'oeuvre (4), des éléments polynésiens à ses scènes parisiennes - choc de cultures et de représentations qu'on a souvent expliqué par la folie naissante du graveur. Meryon a une particularité : c'est à la fois un artiste de génie, précurseur du renouveau de l'estampe, et un officier de marine qui a directement pris part à l'entreprise coloniale en Méditerranée et, surtout, dans le Pacifique sud lors de la phase finale de l'expédition d'Akaroa en Nouvelle-Zélande.

La colonisation, de quelque côté des canons qu'on se trouve, est une expérience traumatique - et même les colonisations ratées dès le début (5). Cet épisode n'explique certes pas à lui seul la folie de Meryon (6) mais il éclaire les images qu'il produit dans les années 1864-1866. On y assiste à un retour en force des oiseaux, paysages et barques...


Charles Meryon - Pro-volant des Iles Mulgrave, 1866



...qu'il avait dessinés vingt ans plus tôt dans le Pacifique. 

En fait il reprend là un projet envisagé dès 1846 à son retour en France : documenter son voyage et en faire un recueil de gravures. En 1861 il s'adresse au Ministère de la Marine  pour obtenir son soutien financier à cette publication - demande réitérée à plusieurs reprises jusqu'à la fin de 1865, et qui se heurtera à une fin de non-recevoir, y compris venant d'un ancien camarade devenu amiral. Cette ultime (7) avanie infligée à un homme qui végétait dans la misère est probablement une des clefs de cette image du Ministère - notamment...



 Charles Meryon - Le Ministère de la Marine, détail


de ce sabre jeté sur le pavé de la rue Royale : c'est à la fois le sabre d'officier de Meryon et celui que lui avait offert son père. Fictions et Voeux, dit le sous-titre de la gravure - les fictions sont souvent trompeuses, et les voeux restent parfois  inexaucés.

Mais il y a plus dans cette gravure - les commentateurs ont fait remarquer que l'obélisque y est peut-être un rappel du poème de Théophile Gautier, Nostalgies d'obélisque :

Sur cette place je m'ennuie,
Obélisque dépareillé ;
Neige, givre, bruine et pluie
Glacent mon flanc déjà rouillé ;
...
Je vois, de janvier à décembre,
La procession des bourgeois,
Les Solons qui vont à la chambre,
Et les Arthurs qui vont au bois.

Oh ! dans cent ans quels laids squelettes
Fera ce peuple impie et fou,
Qui se couche sans bandelettes
Dans des cercueils que ferme un clou...



...chant d'exil en écho de la rumeur qui envahit le ciel : baleines, poissons volants et barques polynésiennes - la plus grande, à hauteur du pyramidion...



Charles Meryon - Le Ministère de la Marine, détail



 ...est un Waka Taua, navire de guerre maori.

Burty voyait cette gravure comme un appel a posteriori à soutenir la colonie française d'Akaroa, mais rien ne vient à l'appui de cette interprétation. Ducros en revanche, approchant probablement plus de la vérité, lit dans le Ministère une mise en parallèle des déconvenues personnelles de Meryon avec les désillusions politiques qui font suite aux révolutions de 1789 et 1848 - avec des épisodes-clés situés précisément place de la Concorde (8).

Reste pourtant cette barque de guerre, au-dessus d'une foule qui s'assemble. Ce tumulte de la rue et surtout du ciel, faut-il y voir une fête (9) ou une irruption plus vindicative ? Est-ce forcer l'interprétation que d'avoir une lecture post-coloniale des artistes du XIXème siècle ? Après tout, Meryon avait été aux première loges pour voir comment se traitaient les affaires entre Français, Anglais et Maoris. Pour ma part, je ne peux m'empêcher de voir, dans ce ciel troublé au-dessus de la Concorde, sinon un réquisitoire, du moins un retour du refoulé, du non-représenté de la violence coloniale et contre-coloniale.



Joseph Mallord William Turner - Slavers throwing overboard the dead and dying - Typhoon coming on - or The slave ship
Négriers jetant par-dessus bord les morts et les agonisants à l'approche d'un typhon - ou Le bateau négrier, 1840


L'hôtel de la Marine, ancien Garde-meuble Royal transformé en Ministère de la Marine à partir de 1789, a longtemps abrité l'administration des colonies françaises, le Bureau des colonies (puis Sous-secrétariat d'état) créé en 1710. Transformé en Ministères des Colonies et de l'Algérie en 1851, il est alors un temps installé au Palais-Royal, puis en 1859 dans l'Hôtel de Beauveau, place du même nom. En 1861, l'Algérie est rattachée au Ministère de l'intérieur qui emménage à son tour à Beauveau - ironie de l'histoire, chassé-croisé de la métropole et de l'outre-mer via le troc, précisément, de l'Algérie. Et les Colonies retournent à l'Hôtel de la Marine avant de s'installer en 1895 au Pavillon de Flore puis, en 1907, dans l'hôtel de Montmorin, rue Oudinot, où se trouve toujours le Ministère de l'outre-mer sous l'autorité, haute, de M. Brice Hortefeux (10).

Relisez les dates et vous verrez que c'est dans ces murs, avec vue sur la place de la Concorde, qu'a été  pour une bonne partie mise en oeuvre la politique coloniale de la France. 

Depuis le temps où l'une des principales missions de la Marine fut la sécurité des routes maritimes vers Haïti, perle de l'empire au XVIIIème siècle, source du commerce du sucre et de l'indigo - et destination de la traite des esclaves.  

Et jusqu'aux jours de la grande expansion au Maghreb, en Afrique, en Indochine ou en Polynésie - par exemple, puisque la Tunisie est d'actualité, au moment du Traité du Bardo et des Conventions de la Marsa.




Charles-Edouard Delort - Figures élégantes sur la place de la Concorde
Source : Athenaeum



Voyez d'ailleurs les historiens qui viennent en écho de la pétition des Amis de l'Hôtel de la Marine : soucieux du consensus, puisqu'ils rappellent, d'un côté le rôle historique du Ministère dans l'histoire de la colonisation, et de l'autre que c'est aussi là que fut signé le décret du 27 avril 1848 abolissant définitivement l'esclavage. Et ils proposent d'adjoindre, dans un coin du  Barnum en projet, un Musée de l'esclavage et de la colonisation. Sont-ils bien sûrs que cet énième lieu de mémoire n'est pas destiné à devenir, comme d'autres, un lieu d'oubli ?

De leur côté, en rêvant sur cette gravure de Meryon, les chats hasarderaient bien, dans un miaulement plaintif, cette modeste proposition aux Décideurs de notre République - Fiction et Voeu :

Rendez la Bâtisse aux peuples dont elle a fait le malheur.

Vous n'avez que l'embarras du choix : au hasard les Bamilékés et l'UPC au Kamerun, les Vietnamiens en travail forcé jusqu'à repiquer le riz en Camargue, tous ceux qui ont connu, non seulement la servitude mais l'engagisme, et les Algériens, et les Tunisiens dont notre Ministre de la culture sait si bien parler au passé mais si difficilement au présent. Et pourquoi pas, en première ligne, les Haïtiens qui après tout ont sué sang et eau, en leur temps, pour remplir le Garde-meuble - et qui, sous la menace des canons de la Royale, ont dû payer, pour prix du maintien de leur indépendance,  la modique somme de quatre-vingt-dix millions de francs-or à ceux qui les avaient préalablement convoyés en esclavage.



Jean-Baptiste Carpeaux - Pourquoi naître esclave ? détail, ca 1870



Après tout, s'il s'agit de muséologie coloniale, laissez l'affaire aux vrais spécialistes du sujet, les ex-colonisés, qui ont l'avantage de connaître votre histoire, votre culture et votre langue mieux que vous ne connaissez les leurs. A titre d'exemple, et dans l'affaire tunisienne encore, l'étrange cécité de la France officielle n'est-elle pas aussi celle d'une classe dirigeante où personne ne parle ou ne comprend l'arabe, et d'un pays où le nombre de postes offerts  pour l'enseignement de cette langue diminue constamment (11) ? Où sont les Massignon, les Henry Corbin, les Jacques Berque d'aujourd'hui ?

Et s'il s'agit simplement de faire un peu d'argent en vendant ces bijoux de famille, faites-en don, Marie-Antoinette et salon des amiraux inclus, aux ex-indigènes, et qu'ils les vendent eux-mêmes si ça leur chante, à des oligarques russes, des consortiums émiratis ou des mafieux berlusconiens. Cela sera une autre façon de vous enrichir, Messeigneurs : en payant vos dettes.




"A l'occasion du 14 Juillet 2010, la France annonce qu'elle va rembourser à Haïti l'équivalent des 90 millions de francs-or payés pour indemniser les colons français esclavagistes - soit un remboursement de 17 milliards d'Euros en tenant compte de l'inflation et des intérêts."
Mis en ligne par mehdifrombaghdad



Et ainsi, quand nous passerons place de la Concorde devant l'hôtel de luxe qui fera pendant au Crillon, nous sourirons à l'idée qu'il aura au moins servi à quelque chose, et nous aurons une pensée pour le peintre-graveur qui jeta en image son sabre sur ce pavé avant de partir, déclaré fou, pour Charenton.
 



(1) "Des balles en caoutchouc, cela aurait été mieux que des balles réelles" selon une source autorisée au Quai d'Orsay, citée par Le Monde du 22/01/11. Pour les autres citations décrivant les projets respectifs de reprise : Le Monde du 19/01/11.

(2) cf. Roger Collins, Charles Meryon, a life, pp. 223-225; James D. Burke, Charles Meryon prints and drawings catalogue, pp. 85-87; Jean Ducros, Charles Meryon officier de marine peintre-graveur, Cat. n° 635; Richard S. Schneidermann, Charles Meryon, the catalogue raisonné of the prints, pp. 188-192 envers lesquels les chats sont éminemment redevables. C'est Collins en particulier qui identifie la barque de guerre derrière l'obélisque et qui a fait le lien avec le poème de Théophile Gautier.

(3) Le même docteur Gachet qu'a peint Van Gogh.

(4) Les derniers états du Pont-au-Change, le Collège Henri-IV et le Ministère de la Marine.

(5) L'expédition d'Akaroa, dans l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande, se solde par l'éviction des Français par l'autre colonisateur, anglais.

(6) L'histoire familiale de Meryon y tient probablement une  grande place : fils bâtard, comme on dit à l'époque, d'un médecin anglais et d'une danseuse française, Meryon voulait être reconnu par son père, ce que ce dernier a (tacitement semble-t-il) refusé. En même temps père et fils entretenaient une correspondance régulière que le père, personnage peu sympathique et manipulateur, conservait afin de faire de son fils un personnage de roman. Ce père était lui-même un grand voyageur qui avait suivi lady Hester Stanhope en Orient, il en fit des livres qui lui valurent une certaine notoriété. Le roman des origines du jeune Meryon s'est probablement construit autour de ce père navigateur, d'où son engagement dans la Marine, et le fait qu'il anglicise  son nom. L'expédition manquée d'Akaroa est  dans sa vie un tournant et ensuite il abandonne la carrière d'officier, ayant semble-t-il constaté qu'il n'avait aucun goût pour le commandement. Une interprétation psychanalytique de sa  biographie n'aurait pas de mal à y déceler les traits de la névrose obsessionnelle puis de la paranoïa, et une  trame d'échecs compulsifs : congé pris de la Marine, études pour devenir peintre alors qu'il est daltonien, destruction des plaques de ses gravures, etc.

(7) Des litiges l'avaient déjà opposé au Ministère, en 46-48 quand il essaya sans succès d'obtenir un emploi au Bureau Hydrographique, puis quand il dut batailler pour se faire payer la solde correspondant à son séjour parisien précédant sa démission; cf. Collins, op. cit. pp. 97-98, et p. 241 pour les nouvelles démarches de Meryon dans les années 1861-1865.

(8) Jean Ducros, loc. cit.

(9) Jean Ducros, Charles Meryon officier de marine peintre-graveur, Cat. n° 625-634, relie les figures aériennes de la gravure du Pont-au-Change aux fêtes de la Saint-Napoléon sous le Second Empire, avec  pyrotechnies en forme d'aigles de feu et, parfois, des lâchers de ballons.

(10) les pérégrinations du Ministère des Colonies sont exposées en détail par Lorraine Decléty, Le Ministère des Colonies, Livraisons d'histoire de l'architecture, 2004, n°8.

(11) Si le nombre d'admis à l'agrégation d'arabe reste stable, aux alentours de 4 par an, le contingent du CAPES a été divisé par 4 depuis 2002 (de 20 à 5 en 2010). A nouveau comme en 2005, il n'y a aucun poste offert en 2011.


26/01/2011

Ta soeur est un serpent




Yasmin Levy - Una ora en la ventana/Une heure à la fenêtre
Mis en ligne par ceniboy

Elle le chantait hier soir, à côté de chez les chats -  une chanson juive turque (turque juive ?) en ladino, ce très vieil espagnol qui, à force d'être foutu dehors, est devenu un très vieux séfarade (traduction ladino/anglais sur l'écran ioutioube, un peu de patience au début).


25/01/2011

Le bonheur, suite



Suite au message du 13 courant, certains posent ex abrupto la question suivante :



Keskecé ?



...les chats se voient donc contraints de livrer à la perspicacité du public un indice supplémentaire :



Cékoiça ?


Réponse :
il s'agit évidemment de jeux pour jardin d'enfants installés dans le nouveaugrandquartier tout près de chez les chats. Le jardin, c'est le truc gris autour de Keskecé - gris et un peu caoutchouteux, pour que les enfants, dans leur enthousiasme, ne se blessent pas. 

Ces jeux s'inspirent manifestement de l'art minimaliste et il sont conçus de façon à développer chez nos chères têtes blondes des capacités inouïes : tout enfant persévérant à jouer plus de cinq minutes à Keskecé devrait à l'évidence par la suite acquérir les compétences et maîtriser les savoirs requis pour intégrer nos grandes écoles les plus prestigieuses

Les chats attestent d'ailleurs avoir de leur oeil vu un enfant jouer à Keskecé - pas très longtemps il est vrai - sous le regard attendri de son papa. Le mode opératoire est le suivant : on se suspend par une main à Keskecé et puis - on attend. Adieu donc toboggans, châteaux miniatures, bateaux pirates, champignons géants et autres cabanes en bois - et bonjour, monde nouveau et radieux de Keskecé et Cékoiça.

24/01/2011

Certes, la réalité ne demandait qu'à céder : Bartholl/Borges




Aram Bartholl - Map, 2006
Mis en ligne par aram bartholl



Le projet Map , documenté ici, consiste à installer sur site l'équivalent des Google Maps locator icons (les machins-rouges-en-forme-de-goutelette-inversée) avec la taille relative qu'ils auraient  avec la fonction de zoom réglée au maximum.

"Presque immédiatement, la réalité céda sur plus d'un point. Certes, elle ne demandait qu'à céder. Il y a dix ans (1) il suffisait de n'importe quelle symétrie ayant une apparence d'ordre - le matérialisme dialectique, l'antisémitisme, le nazisme - pour enflammer les hommes. Comment ne pas se soumettre à Tlön, à la minutieuse et vaste évidence d'une planète ordonnée ? Inutile de répondre que la réalité est également ordonnée. Peut-être l'est-elle, mais suivant des lois divines - je traduis : "des lois humaines" - que nous ne finissons jamais de percevoir. Tlön est peut-être un labyrinthe, mais un labyrinthe ourdi par des hommes et destiné à être déchiffré par des hommes."

Jorge Luis Borges - Tlön, Uqbar, Orbis Tertius.
Trad. René Caillois, Nestor Ibarra et Paul Verdevoye revue par Jean Pierre Bernès


(1) La première publication de Tlön date de mai 1940, dans le n°68 de Sur.

22/01/2011

Ciel... Stephens

Chris Stephens - House to house clouds 3
Source : long view gallery

21/01/2011

В шутку/C'est pour rire

Nikolaï Ivanovitch Fechine - Rieur à la moustache



Philipp Andreïevitch Maliavine - Portrait de M K Oliv
Via Artists and art




Valentin Alexandrovitch Serov - Portrait d'Anna Benois, 1908
Source : Olga's gallery
  

19/01/2011

Lulu - Tissot #7 et fin

James Tissot - Les femmes de sport/Amateur Circus, 1883-1885
Museum of Fine Arts, Boston
Source


Voir les chapitres précédents


Une dernière question avant de quitter ce tableau: peut-on identifier son principal personnage, l'acrobate en rouge ?  

J'avais supposé : un aristocrate trapéziste comme cela était parfaitement envisageable au Cirque Molier ? En fait pas tout à fait, ou plutôt : plus précisément que cela puisque voici le portrait présumé (peut-être fort éloigné de son modèle) de



Théo Wagner.
James Tissot - Les femmes de sport/Amateur Circus, 1883-1885, détail
Museum of Fine Arts, Boston
Source


Deux indices. Le premier se trouve dans un livre de Félicien Champsaur, et le second dans les souvenirs savamment distillés de Suzanne Valadon.

Dans Lulu roman clownesque, Félicien Champsaur...



Cappiello - Félicien Champsaur, 1900
Frontispice pour Lulu roman clownesque


...raconte la vie de Louise, Loulou... Lulu, fille d'un officier d'artillerie quelconque et d'une mère linotte ramageuse, confiée, aprés la séparation de ses parents, aux soins d'une grand-mère maigre, austère, revêche...dans la brume bretonne et qui s'en échappe pour rejoindre une famille de bohémiens roulottiers, comédiens itinérants qui en font une acrobate. Par la suite Lulu se produit à Hambourg et au Cap, puis finalement à Paris où, après un engagement médiocre au Cirque d'Hiver, Lulu est remarquée par un poète épris des réalités du rêve, qui lui offre 

un rôle dans une pantomime qu'on allait jouer, pendant la semaine du Grand Prix, chez un sportsman illustre, Molier, le premier écuyer de France, dans son cirque d'amateurs, rue Bénouville, à la porte du Bois de Boulogne : Les Éreintés de la Vie
- Un rôle? - dit Lulu. - Je ne sais que moi.
- Je n'en demande pas davantage.
- Mais que ferai-je dans votre pantomime ?
- Vous serez vous, Lulu, clownesse. (1)

Et, un peu plus loin :


Un peintre impressionniste, herculéen... Wagner, maillot rouge comme une crête de coq.
Félicien Champsaur - Lulu roman clownesque, 1901, p. 32


De son côté, Suzanne Valadon a mainte fois raconté l'histoire de sa chute de trapèze, qu'elle situait au Cirque Molier. 


 Suzanne Valadon


Selon ses propos rapportés par André Hutter (2) Valadon aurait rencontré dans un café de Montmartre Hubert de la Rochefoucauld et son ami Théo Wagner; les deux l'auraient présenté à Ernest Molier qui l'aurait engagée pour un numéro. 

 "Suzanne s'entraînait avec Théo Wagner pour un numéro de cirque acrobatique à présenter au Cirque Molier. Casse-cou, souple, le jour du gala elle sauta trop haut et trop loin, ne fut pas récupérée par le porteur et s'effondra dans les places" (2).


John Steuart Curry - The Missed Leap/Le saut manqué, 1934


Ce n'est pas ici le lieu d'examiner la véracité des souvenirs de Valadon (3). Il suffit de rapprocher ces deux passages pour y retrouver nos compères, La Rochefoucauld et l'herculéen Wagner, ce dernier en rouge, dans un numéro de barre ou de trapèze chez Molier. Et notre acrobate, saisi par Tissot  vers 1883 dans ce numéro qui devait être renommé, serait donc Théo Wagner que Champsaur désigne comme impressionniste, d'autres le classant dans l'Art Nouveau, peut-être sculpteur, probablement de la même classe d'âge que Seurat puisqu'ils se seraient rencontrés aux Beaux-Arts, et dont je serais bien en peine de dire plus - appel à témoins : qui a vu Théo Wagner ?

On laisse là Tissot, mais on continue un bout de chemin avec Félicien Champsaur.

Ainsi qu'il le dit dans Lulu, roman clownesque, c'est bien au Cirque Molier, les 6 et 11 juin 1888, que Lulu fait sa première et brève  apparition - dans une pantomime qu'il a lui-même écrite, Les eaux de Bénouville ou Les éreintés de la vie

Premier état du mythe. La fée d'une petite source, délogée par les maçons, les ingénieurs et les entrepreneurs, ne sait plus où aller. Elles rencontre la Fortune qui la mène chez une doctoresse, Mlle Beauty. Celle-ci, soudoyée par des banquiers... 


 Illustration d'Henry Gerbault pour Les éreintés de la vie : la sauterie des banquiers


...finit par trouver à l'eau de la source des vertus régénératrices, spécialement pour la guérison des maladies de Paris, pour  le relèvement des éreintés de la haute noce.  La Fortune monte sa boutique qui reçoit le défilé des  éreintés :

 Illustration d'Henry Gerbault pour Les éreintés de la vie
derrière les danseuses infirmes, Lulu sur ses béquilles
Source : Internet Archive


- danseuses infirmes, gommeux culs-de-jatte ou ataxique, un énervé du boulevard, atteint de tremblements, un potache ramolli de la moelle épinière... et au milieu, pour la première fois en scène, Lulu

"béquillarde aussi, en costume d'as-de-coeur : crêpe de chine noir parsemé de petites étoiles d'or, sur maillot chair et bas noirs; gants noirs jusqu'aux coudes; perruque à houppe blonde et chapeau pointu; un petit masque de dentelles transparentes, noir comme les bas et les gants; impression de nu; derrière un coeur" (4).



Lulu au Cirque Molier
Dessin d'Henry Gerbault pour Les éreintés de la vie, 1888
repris pour Lulu roman clownesque de Félicien Champsaur, 1901


Ils seront guéris, évidemment, s'ensuivent des scènes que j'abrège, il y a un veau d'or, une sérénade, une danse du ventre...


Illustration d'Henry Gerbault pour Les éreintés de la vie : musique nocturne
Source: Internet Archive


La même année Champsaur reprend en l'étoffant le personnage, dans une autre pantomime où cette fois-ci il a le premier rôle : Lulu, au Nouveau Cirque, rue Saint-Honoré.


Non pas Lulu, mais Miss Géraldine, affiche du Nouveau Cirque


Seconde version du mythe : Lulu, clownesse danseuse...



Illustration d'Henry Gerbault pour Lulu de Félicien Champsaur, Dentu éd., Paris, 1888


...égare son coeur (dur comme pierre) qui est ramassé par le clown-philosophe Schopenhauer, Officier d'Académie, savant burlesque...


 Illustration d'Henry Gerbault pour Lulu de Félicien Champsaur, Dentu éd., Paris, 1888


...ce dernier malheureusement ne saura pas quoi en faire, et c'est un Arlequin gommeux et pschutteux... 



Illustration d'Henry Gerbault pour Lulu de Félicien Champsaur, Dentu éd., Paris, 1888

...qui le ravira.

C'est Agoust, membre de la troupe des célèbres Hanlon-Lees, qui mit en scène cette pantomime et jouait Schopenhauer. Footit, le futur partenaire de Chocolat, tenait le rôle d'Arlequin. 

Cette seconde Lulu aura du succès et le Nouveau Cirque la reprit en 1892. Dans la salle cette année-là, il y a  probablement Frank Wedekind, déjà grand amateur de cirque et de music-hall. Le 12 juin, il écrit dans son journal "je vais aux Champs-Elysées et l'idée me vient d'écrire une tragédie à faire frémir (Schauertragödie). Je travaille toute la journée à la conception du premier acte" (5). Seconde métamorphose du mythe, qui devient plus sombre, Ibsen et Strindberg sont passés par là.

Que Champsaur ait inspiré Wedekind a été récemment contesté (6). Pourtant, le rapport  séductrice/intellectuel (Lulu/Schön, Lulu/Alwa chez Wedekind) rappelle le couple Lulu/Schopenhauer de Champsaur. Surtout, le duo de la clownesse-danseuse et du peintre était déjà esquissé par Champsaur, dès 1888 - la même année que les deux pantomimes initiales - dans son roman L'amant des danseuses


 Affiche de Jules Chéret pour L'amant des danseuses, de Félicien Champsaur, 1888


L'amant en question, le peintre Decroix, y croise entre autres "la clownesse excentrique, Lulu, la divine funambule..."

Wedekind termine sa pièce en mai 1894 à Londres, où se déroule d'ailleurs le cinquième acte avec l'apparition  finale de Jack l'éventreur (dont, soit dit en passant, le premier meurtre en 1888 coïncide à deux mois près avec la naissance de Lulu au cirque Molier). Ce sera La boîte de Pandore - Une tragédie-monstre, jamais publiée telle quelle du vivant de Wedekind. Il la scindera en deux,  L'esprit de la Terre (publiée en 1895, et dont la première a lieu en 1898 au Kristallpalast de Leipzig) et La boîte de Pandore (première édition en 1902). Cette seconde partie est interdite par la censure, seules sont autorisées les représentations fermées : en privé, les noms et adresses des spectateurs devant être préalablement communiqués à la police (7).


Frank et Tilly Wedekind dans l'Esprit de la Terre


La première privée a lieu le 1er février 1904 au Intimes Theater de Nuremberg. Puis Karl Kraus organise une représentation le 29 mai 1905 au Trianon de Vienne. Dans la salle, Alban Berg.

Quatrième état du mythe : sa forme cinématographique tirée des pièces de Wedekind. En 1917 Lulu  d'Alexander Antalffy (avec Emil Jannings et Elena Morena), en 1918 la Lulu de Mihály Kertész (Michael Curtiz par la suite) avec Bela Lugosi et Claire Lotto - puis en 1922 le film de Léopold Jessner, Erdgeist, avec la grande Asta Nielsen...


Asta Nielsen dans le rôle de Lulu


 ...dont Georg Wilhelm Pabst reprendra la coiffure pour Louise Brooks dans la quatrième version muette, Die Büchse der Pandora (Loulou pour les Français), première projection le 30 Janvier 1929 à Berlin.



G. W. Pabst - Die Büchse der Pandora, 1929
Louise Brooks : Lulu - Fritz Körner : Dr Schön


On ne sait pas si Alban Berg a vu le film de Pabst. Mais c'est au même moment qu'il commence à composer son dernier opéra - il meurt en 1935 sans l'avoir achevé. Cinquième moment du mythe : Lulu, opéra en trois actes, avec prologue




Alban Berg - Lulu, Prologue 
"Hereinspaziert in die Menagerie/Entrez, entrez dans la ménagerie..."
Christiane Boesiger : Lulu - Ernst Gutstein : le Dompteur
Mis en ligne par TheLuluFiles
  

Lulu est créé en 1937 à l'Opéra de Zurich, et ne sera repris que longtemps après dans les années 50 - le temps fort de cette renaissance étant la production par Günther Rennert à Hambourg (1958) : toute l'oeuvre est jouée dans un décor de cirque


Et cette petite série sur Tissot et ses alentours se clôt donc ici sur les séries dodécaphoniques du maître de la transition infime :

Alban Berg - Série originelle de Lulu

Quel rapport, dira-t-on ? D'abord une sorte de hasard objectif : l'herculéen Théo Wagner me fait penser...


 Agneta Eichenholz, Peter Rose : Lulu et l'Athlète
Royal Opera House, Covent Garden, 2010

...au personnage de l'Athlète chez Wedekind et Berg (8) - ce n'est pas un hasard si ces agrès se retrouvent dans mainte mise en scène de l'opéra. Ensuite j'ai déjà dit que les toiles de la seconde période parisienne de Tissot, avant la crise religieuse, celles de la Femme à Paris, s'inséraient dans un ensemble esthétique particulier, au moment où la peinture, comme d'autres arts, est confrontée à l'industrialisation du Spectacle. Kirk Varnedoe a baptisé réalisme tardif une partie de ce courant (Tissot, Caillebotte, Klinger) caractérisé  par son traitement de l'inquiétante étrangeté dans la vie urbaine. Mais on pourrait aisément y ajouter Seurat, et élargir aux artistes qui sont fascinés, à la même époque, par le cirque, le music-hall ou le café-concert - au premier rang, Degas, Lautrec et Sickert.

L'inquiétante étrangeté se manifeste quand on ne sait plus ce qui se joue, et que le Spectacle devient indiscernable de la  réalité, c'est ce que chante Lulu à l'acte II, scène I :


Ich habe nie in der Welt etwas anderes scheinen wollen, als wofür man mich genommen hat.
Je n'ai jamais en ce monde voulu paraître autre chose que ce pour quoi l'on me prenait.

Mais les effets du Spectacle en art tiennent aussi à la technique : la période où travaillent ces artistes voit la vulgarisation de la chromolithographie qui révolutionne l'affichisme et la publicité, notamment l'affiche de cirque (américaine tout d'abord) et de spectacle : voir Lautrec là encore, et surtout Chéret proche de Champsaur.  De la colonne Morris à l'atelier d'artiste s'établit un continuum - et une tension, de même qu'entre la poésie de Mallarmé et les petites revues de Champsaur, qui était d'ailleurs son correspondant régulier.

Champsaur précisément, spectateur à l'oeil plus américain qu'il ne paraît : la première pantomime de Lulu chez Molier, Les Éreintés de la vie,  est en fait la satire d'un lancement de produit... 


 Illustrations d'Henry Gerbault pour Les éreintés de la vie (détails)

...l'eau régénératrice...







...avec financement par les banques et publicité par Miss réclame et son cavalier-sandwich...








...installation de stand et boutique...





 ...et démonstration.
De même, dans sa quatrième Lulu, le Roman clownesque de 1901, fascinant bric-à-brac où il a convié tous les artistes qu'il connaît (9) on trouve...





...les réclames fictives pour lesquelles Lulu a posé, champagne...




bicyclette...




...et jusqu'au timbre-poste...


...je dois dire que j'adore cette Lulu-République.


L'occasion (10) de rappeler que les cercles où évoluait Champsaur, les Hydropathes ou le Chat Noir, sont, mis à part le folklore Montmartrois, des laboratoires où se discute et se prépare le dépassement de l'art ancien du chevalet ou de la plaque de cuivre : le muralisme et les projections, voir entre autres Henri Rivière, la bande dessinée, voir Emile Cohl, l'art industriel social, voir Roger Marx...


Illustration de Chalon pour Lulu roman clownesque


De même la Lulu d'Alban Berg, Gesamtkunstwerk, oeuvre d'art totale, mêle, avec ou sans l'inspiration de Wedekind, nombre de formes : la musique et l'opéra bien sûr, mais aussi le cirque du prologue, le théâtre et ses coulisses à l'Acte I scène 3, et dans la même scène la publicité avec l'affiche  qui reprend le portrait de Lulu de la scène précédente - et revoici la peinture. Enfin, innovation de Berg et cauchemar des metteurs en scène, le cinéma avec le film muet qui doit accompagner l'interlude du deuxième acte au milieu de l'opéra, clef de voûte en palindrome ascendant/descendant de sa structure en arche :



Alban Berg - Palindrome central de Lulu


Et, sautillant sur la ligne de crête de ce rise and fall, la femme-marchandise décidant de sa propre valeur, marionnette-fétiche jouant avec ses fils, miroir aux alouettes volant de ses propres ailes, Lulu danseuse de corde, Lulu, oeuvre d'art totale et première héroïne multimédia.


Illustration pour Lulu roman clownesque


(1) Félicien Champsaur - Lulu roman clownesque, Fasquelle, 1901, p. 30

(2) André Utter, Notes autobiographiques pour un Panorama des Arts, Archives, Centre Pompidou, cité dans Thérèse Diamand Rosinsky, Suzanne Valadon, Flammarion, 2005, p. 49. André Utter fut le second mari de Suzanne Valadon.

(3) Quand Suzanne Valadon entre au cirque, c'est probablement - mais certains en doutent - chez Fernando, à deux pas de chez elle boulevard de Rochechouart. Elle fut peut-être trapéziste mais il est difficile de faire la part de la légende dorée dans les souvenirs qu'elle a dispensés.  Dans le Paris des années 1880 la rue de Bénouville était bien loin de Montmartre, et le milieu aristocratique de Molier était socialement aux antipodes de celui de Marie-Clémentine Valadon, fille d'une blanchisseuse alcoolique devenue à Paris femme de ménage, elle-même aide de salle, plongeuse de restaurant, valet d'écurie, marchande de quatre-saisons et assembleuse de plumeaux avant d'entrer au cirque - tout cela jusqu'à son accident avant qu'elle se fasse modèle et devienne la Terrible Maria. On ne trouve pas trace d'elle dans les programmes de Molier entre 1879 et 1881, voir sur ces points John Storm, The Valadon drama, 1958, pp. 49-51. Il est utile de rappeler le parcours de Suzanne Valadon : peu d'artistes autant qu'elle  ont mérité leur droit à la légende dorée.

(4) Félicien Champsaur, Les éreintés de la vie, Dentu éd., 1888, p.60.

(5) Frank Wedekind, Journaux intimes, trad. Jean Ruffet, Belfond éd., 1988, cité par Jean-Louis Besson, éd. Frank Wedekind, Théâtre complet II, Lulu, Editions Théâtrales, p. 373.

(6) Notamment Ruth Florack, Wedekinds "Lulu"  : Zerrbild der Sinnlichkeit, 1995, qui  voit les origines du personnage chez Catulle Mendès et la Nana de Zola.

(7) Pour ces informations, cf. Présentation par Jean-Louis Besson, Frank Wedekind, Théâtre complet II, Lulu, Editions Théâtrales, pp. 373-377.

(8) Dans son livre sur Berg Adorno écrit, à propos de l'expressionnisme de Lulu : "la solitude absolue et le monde des marchandises sont à la fois inconciliables et corrélatifs. Aux yeux du sujet replié sur sa propre intériorité, les hommes du dehors, qui lui imposent leur loi d'une manière hétéronome et incompréhensible, sont des marionnettes : personne, dans Lulu, n'est plus réaliste que l'athlète surréel." (Alban Berg, le maître de la transition infime, trad. Rainer Rochlitz, Gallimard, 1989, p. 203). On pourrait de même dire que l'acrobate en rouge de Tissot, dans son attitude figée et mécanique, est l'image que se fait d'elle-même la haute société derrière lui, tout entière occupée à s'épier.

(9) Images de Lulu par : Bac, Bourdelle, Bottini, Cappiello, Chalon, Chéret, Coulon, Darbour, Detouche, Gerbault, Gorguet, Guillaume, Haudu, Helleu, lebègue, Louis Legrand, Lucas, Mantelet, Louis Morin, Notor, orazi, Alonso Perez, Rassenfosse, Robadi, Auguste Rodin, Félicien Rops, Guirand de Scevola, Simonaire, Steinlen, Trachsel, Van Beers, De la Vaudère, Vierge, Vogler, Willette (crédits au dos du frontispice de Lulu, roman clownesque).

(10) Sur la publicité chez Champsaur, lire Sandrine Bazile, Lulu s'affiche - Affiches et intertextualité dans Lulu Roman clownesque chez l'intéressant Image and narrative.





Sources : 

On trouvera une bonne partie de ce qu'a écrit Félicien Champsaur sur l'Internet Archive, une autre sur Livrenblog, et L'amant des danseuses sur Gallica

En revanche, Lulu roman clownesque n'est pas accessible en ligne, mais dans la belle édition des Romans de cirque (Laffont, Bouquins) par  Sophie Basch. L'Introduction de Sophie Basch à Lulu dans cette édition est la meilleure étude disponible sur les romans de Champsaur.

Il n'existe malheureusement pas de véritable édition fac-similé de Lulu roman clownesque, qui le mériterait. Les lecteurs désireux de posséder ce petit chef-d'oeuvre de l'édition d'époque devront malheureusement le payer assez cher chez les bouquinistes. Signalons qu'il existe deux éditions, seule celle de 1901 est de la main de Champsaur. L'iconographie de l'édition de 1929 - à l'occasion de la sortie du film de Pabst - est entièrement différente.