29/05/2010

L'art de la cuisine : tâches ménagères

Stevan Dohanos  - After dinner dishes, Saturday Evening Post, 8 janvier 1949
Via le Persephone Post 


Stevan Dohanos, qui commença à l'usine avant d'apprendre le dessin aux cours du soir, est un continuateur de Norman Rockwell - il a dessiné quelque 125 couvertures du Post. Avec moins d'emphase que Rockwell, il peint comme lui Main Street mais avec, parfois, des intonations plus sombres, voir par exemple Army entertainment ou Backstage at the Met. Rockwell reste un régionaliste, Dohanos est un réaliste plus influencé par les Eight (ceux que leurs contempteurs baptisaient l'Ashcan school) et parfois par Hopper. Il a traité au moins une autre fois ce sujet de la ménagère seule à la vaisselle.


 Stevan Dohanos - Doing Dishes at the Beach, 19 juillet 1952



Les années 50 ne sont pas les plus gaies de l'histoire des Etats-Unis, tout particulièrement pour les femmes. Pendant la guerre  des millions d'entre elles sont embauchées dans l'industrie, pour être en grande partie renvoyées à la maison après la victoire. A l'usine Ford de River Rouge où il n'y avait auparavant que 45 femmes, elles représentèrent jusqu'à 12% du personnel (au total 93.000 ouvriers) - pour se retrouver moins d'un pour cent quand les soldats furent rentrés  (1). La Rosie the riveter de Rockwell était retournée à son évier.

C'était un art complexe que celui de la couverture du Post : peindre une situation connue de tous, partir d'une des joies ou des contrariétés de la vie courante pour en tirer matière aux réflexions amusées du week-end - le tout avec suffisamment de recul et d'humour, et la dose de conformisme requise pour que l'on ne puisse pas distinguer  la critique sociale du clin d'oeil complice. C'est de cela qu'il faut créditer Dohanos : sans y toucher, nous faire sentir dans le coup d'oeil de cette ménagère, sous la vague nausée des fins de repas devant la pile de vaisselle à laver seule, la fameuse question informulée, le "problème sans nom" des femmes au foyer de Suburbia selon Betty Friedan : "chaque épouse de banlieue  se débattait seule avec ça. Tout en faisant les lits et les courses... elle avait trop peur pour se poser, même à elle-même et en silence, cette question : "et c'est tout ?" (2) Mais la dame du Saturday Evening Post a quatorze ans à attendre avant de trouver une réponse dans The feminine Mystique.


C'est aussi Stevan Dohanos qui a réalisé les grands panneaux muraux du bureau de poste de West Palm Beach (Floride) sur le Barefoot Mailman. Si vous voulez en savoir plus sur le Facteur aux pieds nus de Floride, c'est ici.


(1) Sherrie A. Kossoudji, Laura J. Dresser (University of Michigan) Working Class Rosies: Women Industrial Workers during World War II  Journal of economic history, 1992.  Selon les deux chercheuses, contrairement à l'idée communément reçue parmi celles qui furent licenciées on comptait beaucoup de femmes au foyer qui auraient préféré continuer à travailler.

(2) "Each suburban wife struggled with it alone. As she made the beds, shopped for groceries, matched slipcover material, ate peanut butter sandwiches with her children, chauffered Cub Scouts and Brownies, lay beside her husband at night — she was afraid to ask even of herself the silent question — "Is this all?" 
Betty Friedan, The Feminine mystique (La femme mystifiée), 1963. Chacune des activités féminines disséquées par Friedan était un sujet-type  pour la couverture du Post.

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